La vraie nature du « marché »

Fév 8, 1993 | Economie politique

 

L’affaire Hoover met au point final aux illusions engendrées par l’idéologie du marché : livré à lui-même, le capitalisme est vraiment sauvage.

En économie, les années quatre-vingt ont été celles des illusions dangereuses, conçues, entretenues et développées par une idéologie au rabais. Il y eut l’illusion du « moins d’État » – comme si les activités d’intérêt général, économiques et culturelles, et les liens sociaux pouvaient se maintenir hors de l’intervention raisonnée de l’État. Il y eut les paradis artificiels de la spéculation financière – qui firent croire que l’économie pouvaient vivre selon les règles du casino et du Monopoly. Il y eut les tonnes de niaiseries consacrées au « marché », à « l’entrepreneur dynamique », aux vertus de la  libre concurrence – solennelles bêtises qui étaient d’ailleurs en parfaite contradiction avec l’apologie du Golden boy

Dans la foulée de cette dogmatique « libérale », les gouvernements inventèrent le « Marché unique », formule magique et introuvable qui est théoriquement entrée en vigueur le 1er janvier dernier. Las ! La prétendue entrée en vigueur du marché unique coïncide avec l’effondrement complet du mythe libéral :

Cela fait déjà plusieurs années que l’on s’est aperçu, dans le monde capitaliste, que la spéculation financière tuait l’activité économique, tout simplement parce que la logique de la rentabilité maximale est à l’opposé d’un projet industriel cohérent et durable dans quelque domaine que ce soit : ce que le cinéma américain dit bien, par exemple dans Pretty Woman.

Cela fait aussi plusieurs années que les Golden boys ont été ruinés par leurs surenchères imbéciles, ou ont été mis en prison parce qu’ils étaient de purs et simples voyous de finance : ce qu’a également montré le cinéma américain.

Et voici que nous nous apercevons, avec l’affaire Hoover, que la libre concurrence est tantôt une abstraction – puisqu’il faut une forte présence de l’État pour garantir la liberté des échanges et pour soutenir l’activité des entreprises – tantôt un jeu égoïste qui n’aboutit jamais à des équilibres économiques et sociaux.

Le cas Hoover est à cet égard scandaleusement caricatural. Les actionnaires américains de cette firme se moquent évidemment comme d’une guigne du sort de ses employés dijonnais et du développement économique de la région. Ils s’en vont en Ecosse parce qu’ils ont pu imposer aux ouvriers locaux des conditions draconiennes : prêt à l’entreprise sur les fonds de retraite du personnel, renonciation au droit de grève, « modération » des revendications salariales. Exploitation des ouvriers en Ecosse, paupérisation des ouvriers en France : chez Hoover, on retrouve la main de fer du capitalisme qui avait jadis provoqué la révolte ouvrière et fait naître le grand rêve communiste…

Faut-il vraiment que l’histoire recommence ? C’est à sa naissance que la logique rétrograde doit être enrayée. D’abord par les syndicats, affaiblis ou endormis dans leur bureaucratie, et qui doivent se réveiller. Ensuite par le gouvernement, qui ne saurait se contenter de protestations diplomatiques. Enfin par les chefs d’État et de gouvernements européens, qui ne doivent pas accepter que la recherche du profit maximal ruine les conquêtes sociales des cent dernières années et détruise le tissu social des divers pays européens.

Si le départ de Hoover n’éveille qu’une trop faible volonté de résistance, d’autres entreprises seront tentées d’utiliser le même procédé et la vieille fable du renard libre dans le poulailler libre retrouvera sa sinistre vérité.

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Article publié dans le numéro 594 de « Royaliste » – 8 février 1993

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