A l’égard des Verts, notre hostilité radicale ne s’est jamais démentie, et la campagne pour les européennes nous permet de réaffirmer notre opposition aussi paisible que déterminée.

Nous rejetons totalement l’idéologie d’une « nature » jamais définie, donc mythifiée et mystifiante, et implicitement nihiliste puisque les êtres humains sont considérés comme une espèce parmi d’autres, mais plus dangereuse que les autres. Ce naturalisme contredit le projet écologique qui consiste à humaniser la terre pour y habiter : que le monde soit l’œuvre de Dieu ou celle de l’homme, nous sommes tous, croyants ou incroyants, dans la dynamique d’une création continuée.

Dès lors, comment admettre qu’un groupe spécialisé s’arroge le droit de régenter ce qu’il croit être la nature, en privilégiant le vert parmi toutes les autres couleurs du monde ? Les peuples nourris de tradition biblique n’ont pas attendu l’écologisme pour faire alliance avec la nature (1) et, en France, nous n’avons pas eu besoin des gestionnaires de l’environnement pour organiser notre nation, bâtir nos villes et dessiner nos paysages. L’écologisme confond tout, efface tout. Qu’on laisse à l’Etat souverain la part qui lui revient dans l’aménagement du territoire national et qu’on fasse confiance aux architectes, aux jardiniers et aux paysans – mais pas aux bureaucrates de la FNSEA ! – pour embellir notre vie.

Cet embellissement est le résultat d’une pensée en acte, d’une politique effectuée, d’une histoire qui se prolonge sans craindre les destructions nécessaires et la nouveauté audacieuse. Toutes les théologies, toutes les philosophies politiques ont transformé, pour le meilleur ou pour le pire, le monde habité. Mais, en dehors des « espaces verts » sévèrement policés et des « parcs naturels » où il est interdit d’habiter, on cherche en vain les beaux effets du naturalisme militant : la doctrine des Verts est conservatrice, muséifiante, désertifiante. Elle ne peut qu’inspirer l’ennuyeux catalogue des revendications d’un groupe de pression.

Disant cela, je vais fâcher des amis proches qui soutiennent Daniel Cohn-Bendit par fidélité à l’esprit des années soixante. Il fallait, à l’époque, réagir contre les conséquences fâcheuses ou désastreuses d’une modernisation mal conduite et veiller à une meilleure maîtrise des progrès industriels. Sur certains points, par exemple la lutte contre les diverses pollutions, les écologistes ont joué utilement leur rôle de groupe de pression. Mais ces interventions partielles ne justifiaient pas leur transformation en parti politique. Pas plus que les listes de chasseurs et de pêcheurs, pas plus que celle des paysans ou des petits propriétaires en d’autres époques et dans d’autres pays.

Un parti politique procède d’une pensée, incarne une tradition, exprime un projet selon l’idée qu’il se fait de l’intérêt général. L’écologisme est apolitique ou antipolitique dans la mesure où ses références, très floues, ne lui permettent pas de penser l’Etat, le droit, les relations internationales, les différentes collectivités politiques. D’où l’échec des Verts allemands : leur groupe de pression s’est heurté à des groupes d’intérêts beaucoup plus puissants qui ont vite obtenu gain de cause en matière de fiscalité écologique et de retraitement des déchets nucléaires. Pas plus purs que leurs collègues français, ils ont choisi de se soumettre pour conserver leurs portefeuilles ministériels. Banalité des alignements.

Daniel Cohn-Bendit, quant à lui, tente d’échapper au paradoxe du groupe de pression devenu parti en se proclamant libéral-libertaire. C’est tomber dans une contradiction insoutenable. L’esprit libertaire, hostile par définition à l’Etat et à la nation, ne peut que durcir les orientations libérales puisque, sous prétexte de promotion de l’individu, il laisse les personnes et les groupes sans protection contre la violence économique. Partisan des fonds de pension, de la flexibilité, de l’eurocratie bureaucratique et monétariste, le révolté de 1968 n’est plus qu’un candidat bien-pensant.

Hostiles à toute politique nostalgique – celle du retour à une origine mythique – nous ne ferons pas celle de nos éventuelles nostalgies.

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(1) Cf. l’ouvrage fondamental de Catherine Chalier, L’Alliance avec la nature, Cerf, 1989.

Editorial du numéro 724 de « Royaliste » – 1999.

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