La gauche, entre l’européisme et l’Europe

Mai 16, 2019 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

 

Un groupe qui se réclame d’une « gauche de transformation » publie une analyse sans concession de l’Union européenne et des impasses dans laquelle les partis de gauche se sont fourvoyés, avant de formuler ses propositions. Celles-ci méritent d’être connues et discutées.

Ils sont cinq, membre de « Chapitre 2 » qui se définit comme un « groupe de réflexion et d’action politique et intellectuelle » : Aurélien Bernier, Morvan Burel, Clément Caudron, Christophe Ventura, Frédéric Viste. L’ouvrage qu’ils publient (1) est sévère pour les chimères que l’européisme de gauche cultive depuis des décennies. Pour eux, l’Union européenne est un carcan économique, un piège juridique et une impasse démocratique qui réduit à néant la promesse d’une « Europe sociale » et le rêve d’un « fédéralisme européen » conçu selon les vœux du vieil internationalisme.

Paradoxe : alors que le peuple français avait voté contre le « traité constitutionnel » à une forte majorité, le Parti socialiste et le Parti communiste n’ont pas tenu compte de ce choix. Après avoir annoncé pendant la campagne de 2007 une réorientation de l’Union, François Hollande s’était aligné sur Bruxelles, Francfort et Berlin tandis que le Parti communiste entérinait sans états d’âme la trahison de Syriza en 2015. Les Verts sont restés sur la ligne réformiste d’une « Europe » qui permettrait selon eux de dépasser définitivement les Etats nationaux. Jean-Luc Mélenchon a développé une ligne contestataire selon le schéma du « Plan A » et du « Plan B » dilué dans des formules contradictoires – tantôt la sortie des traités européens, tantôt le sauvetage de l’Union européenne – puis noyé le tout dans la nouvelle stratégie d’union de la gauche récemment rebaptisée « fédération populaire ». Quant aux trotskistes du NPA, ils critiquent fermement l’Union mais refusent le protectionnisme sans proposer d’autre alternative que celle de la révolution mondiale.

Face aux utopies et aux reniements, qu’est-il possible de faire ? Pour les cinq auteurs, le statu quo n’est pas acceptable pour des militants de gauche : « Défendre l’Union européenne en croyant défendre l’ouverture sur le monde et la fraternité universelle est donc un contre-sens total. Cela revient non seulement à laisser le libre-échange et la libre-concurrence ravager les peuples, mais aussi à laisser prospérer des mouvements identitaires, xénophobes et anti-sociaux ». C’est pourquoi les auteurs présentent les scénarios possibles de rupture totale ou partielle avec l’Union européenne : sortie complète de l’Union, révision par référendum du titre XV de la Constitution afin de rétablir la primauté du droit national dans la hiérarchie des normes, ou simplement pour autoriser sur des points précis la dérogation à la suprématie du droit européen. La question de la sortie de l’euro est clairement expliquée et permet de dissiper les frayeurs cultivées par la propagande ultralibérale.

La réflexion des auteurs porte au-delà de la question de la sortie des traités européistes. Il s’agit pour eux de fonder un nouvel internationalisme sur le principe de la coopération entre Etats nationaux, hors du libre-échange et de la recherche de la « compétitivité ». Contre la libre-concurrence, il faudrait établir un « protectionnisme compensatoire » sur le plan social et environnemental dans lequel les recettes provenant des droits de douane financeront les politiques sociales et écologiques des pays les moins avancés en ces domaines. Cette politique serait accompagnée de nationalisations permettant de réorienter les firmes transnationales dans le sens de la coopération internationale.

Ces propositions ne constituent pas un programme pour la « gauche de transformation » car les cinq auteurs veulent laisser ouvert le débat sur la sortie de l’Union européenne et sur les modes de coopération internationale. On devine qu’ils craignent d’être accusés de nationalisme mais leur volonté d’explorer les voies d’un nouvel internationalisme fondé sur des coopérations entre Etats tranche heureusement avec l’idée qu’il suffit de sortir de l’euro et de l’Union pour résoudre l’essentiel des problèmes. La référence à une « gauche de transformation » laisse en revanche dubitatif à l’heure où la tentative mélenchonienne d’union de la gauche s’esquisse sur la base du compromis européiste. Pourquoi ne pas dire, franchement, que l’enjeu est de refonder le socialisme ?

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(1) Collectif « Chapitre 2 » : La gauche à l’épreuve de l’Union européenne, Editions du Croquant, 2019.

Article publié dans le numéro 1168 de « Royaliste » – mai 2019

 

 

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