Si vous voulez comprendre concrètement comment la vie politique française sombre chaque jour un peu plus dans le néant, ouvrez le livre du très regretté Philippe Cohen et de Laureline Dupont (1) et ne le lâchez plus !

Au soir du 6 mai 2012, Philippe Cohen songea que le président battu ferait tout pour revenir à l’Elysée. Journaliste au « Point », Laureline Dupont partageait ce point de vue. Tous deux se lancèrent dans une enquête approfondie sur « les vacances du petit Nicolas » qui furent en fait des anti-vacances car le vaincu est un homme qui ne sait ni se distraire, ni se reposer tant il est obsédé par le Pouvoir. Il en résulte un récit saisissant – au sens où l’on est saisit par le froid.

Karl Marx fustigeait la bourgeoisie qui avait tout noyé dans « les eaux glacées du calcul égoïste». C’est bien cela. Nicolas Sarkozy est le chef d’une équipe de techniciens qui gèrent les audiences, les déplacements et la sacro-sainte communication sans le moindre état d’âme. Pour eux, comme pour leur patron, les idées ne sont que des mots assemblés en vue de faire réagir, et plus tard voter, des segments de l’électorat. On vise Hollande ou on le laisse s’enfoncer tout seul ? On tape une fois encore sur les immigrés ou on insiste sur les valeurs ? On clive, ou on est rassembleur ? Cela dépend… De toutes manières, le patron peut épouser toutes les convictions, prendre toutes les postures et tous les déguisements comme un acteur qui se colle successivement moustaches, perruque et fausse barbe. Mais à la différence du comédien qui se retrouve lui-même au sortir de la scène, Nicolas est totalement dans ce qu’il fait – même s’il peut avoir, comme tout un chacun, des inquiétudes métaphysiques.

Le moteur de cette hyperactivité, ce n’est ni la France, ni le Parti mais le Défi : le challenge comme dit Patrick Buisson. Il faut que le petit Nicolas gagne, qu’il s’agisse d’un tournoi de ping-pong ou d’une élection, le défi suprême étant de se faire réélire à la présidence là où un Giscard a échoué. Dès lors, la politique n’est plus qu’un sport d’aristocrates, genre Milord l’Arsouille, où l’on est toujours en compétition avec soi-même et avec les autres. Pour l’élite du pouvoir et des affaires, l’argent n’est qu’un moyen – pour ne rien dire des femmes. Si l’on veut découvrir les ressorts intimes des oligarques, Marx n’est pas suffisant : le calcul égoïste ne vise pas le profit matériel mais la satisfaction du désir de domination qui se heurte sans cesse au désir des rivaux. En lisant Philippe et Laureline, on découvre ou on vérifie que le véritable ciment de la classe dirigeante, c’est la haine. Sarkozy, Juppé, Fillon et leurs coupe-jarrets s’épient, se tendent des pièges et s’assassinent avec des expressions vulgaires et des mots grossiers. Le petit Nicolas excelle dans ces exercices : pour lui, Fillon est veule, « c’est un porteur de bidons dans un peloton cycliste », un « connard » comme Copé.

Pris dans cette rivalité mimétique, il est normal qu’on perde de vue le peuple français,  découpé en catégories par les experts en sondages en vue d’opérations ciblées. Nicolas Sarkozy s’apprête donc à parler aux vieux, sous oublier les jeunes et les mères de famille, sans négliger les homosexuels mais sans jamais perdre de vue son véritable programme d’allégeance à l’Allemagne et aux Etats-Unis… que la gauche est en train d’appliquer. Et puis, sous la langue de bois et malgré les discours rassembleurs, on retrouvera tôt ou tard le « président des riches ».

Nicolas Sarkozy, ses rivaux et leurs affidés composent une contre-société brutale et cynique sur laquelle les magistrats en charge de maints scandales font peser la menace d’éliminations plus ou moins provisoires. Alain Juppé s’en est remis – une minute de honte est vite passée – et Jean-François Copé est à la peine tandis que Nicolas Sarkozy tente une échappée vers le sommet à la mode berlusconienne. Dans ce marigot, surnagent quelques hommes de convictions – ou réputés tels. Il y a Henri Guaino, totalement subjugué par son maître au point d’oublier que le gaullisme dont il se dit l’héritier exclut le retour dans l’Otan et la signature du Pacte de stabilité. Il y a surtout Patrick Buisson, le grand gourou tombé en disgrâce. Philippe Cohen s’était entretenu avec lui et la publication des enregistrements constitue un morceau de choix. D’un côté nous avons un Docteur Jekyll qui balance une théorie générale du capitalisme, évoque les « racines chrétiennes de la France », rejette l’accusation de maurrassisme et assène que « Ma matrice intellectuelle, c’est la nation française. La scission de la Nouvelle Action française fondée par Bertrand Renouvin, devenue la Nouvelle Action royaliste. J’étais gamin à l’époque, mais mes maîtres étaient les historiens Philippe Ariès et Pierre Boutang » (2). De l’autre côté nous avons un Monsieur Hyde qui reconnaît que Nicolas Sarkozy « n’a pas pris ses fonctions au sérieux », qu’il « n’était pas dans l’arc républicain pour un sou » » et qu’il avait du mal à prononcer les mots « intérêt général ». Et que propose-t-il pour gagner en 2012 ? Une formule magique : « La France d’après, c’est la France d’avant » en précisant : « C’est ça que les Français voulaient : les élèves qui se lèvent quand le professeur entre dans la classe, l’ordre, la sécurité, le travail et le mérite ». Une société disciplinée, régentée par des incultes et des corrompus ! On a les gourous qu’on mérite.

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(1)   Philippe Cohen, Laureline Dupont, C’était pas le plan, Le vrai scénario du retour de Sarkozy, Fayard, 2014.

(2)   Patrick Buisson n’est pas le premier réactionnaire qui invoque la NAR pour se mettre à couvert, alors qu’il nous est parfaitement étranger.

Article publié dans le numéro 1064 de « Royaliste » – 2014

 

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