La victoire de la droite est totale. Cette victoire attendue est d’autant plus incontestable que tous les observateurs et acteurs de la vie politique s’accordent sur ses causes immédiates et lointaines mais aussi, plus ou moins explicitement, sur ce qui en limite malgré tout la portée.

La droite a gagné parce que le Parti socialiste s’est effondré, et cet effondrement tient au fait que le socialisme est depuis dix ans infidèle à lui-même : trop timorés dans leur action contre le chômage et la pauvreté, trop impliqués dans les affaires d’argent, les socialistes reconnaissent aujourd’hui leurs fautes politiques et morales. Dont acte.

La droite a gagné totalement parce que la dynamique de l’union et la logique du système électoral, rendues particulièrement efficace par la faible résistance de l’adversaire et par l’isolement des écologistes et des lepénistes, a amplifié sa victoire d’une manière exceptionnelle. C’est ainsi qu’une droite minoritaire en voix dans le pays se retrouve en situation hégémonique à l’Assemblée nationale, moins par sa volonté propre que par la faute des socialistes, surtout rocardiens, qui n’ont pas voulu donner une dimension proportionnelle au mode de scrutin.

EPREUVE

L’accord n’est pas moins général quant à l’appréciation des dangers que recèle une victoire de cette ampleur. Entre la violence du rejet des socialistes et la faiblesse de l’espérance qui se porte sur les vainqueurs, le contraste est manifeste. Disposant de tous les moyens nécessaires, contrôlant l’ensemble du Parlement, majoritaire dans la plupart des régions, la droite est au pied du mur, et serait sans excuse si elle ne le franchissait pas. Elle sait qu’elle n’a pas d’autre issue qu’une réussite à la hauteur de sa victoire – sinon elle subira dans deux ans le même rejet que les socialistes aujourd’hui. Pour elle, le temps de l’épreuve est venu.

Comme les dirigeants de la nouvelle majorité ont tous une solide expérience des affaires nationales et internationales, ils n’ignorent rien des contraintes diplomatiques, financières et techniques qui vont peser sur eux, ils savent que trop peu de temps les sépare de l’élection présidentielle, ils reconnaissent à demi-mot qu’ils n’ont pas de réponse globale à apporter aux crises multiples et convergentes que j’énumérais dans notre dernier numéro. Quant à leur programme immédiat de lutte contre le chômage, il n’aura qu’une portée limitée : des allégements de charges pour les entreprises, une relance dans le secteur du bâtiment et par l’accélération de grands travaux, des dépenses budgétaires financées par des privatisations – méthode en tous points contestable – constituent un ensemble trop léger de mesures faciles et coûteuses à tous égards.

Nous sommes loin de l’utopie libérale de 1986, qui avait déjà engendré une politique fallacieuse et des résultats dérisoires. La nouvelle majorité le sait, et aurait de surcroît avantage à se rendre compte d’un point trop peu souligné : beaucoup de Français n’ont pas rejeté le Parti socialiste parce qu’il était socialiste mais, au contraire, parce qu’il les protégeait trop peu contre la violence multiforme de l’économie, parce que l’État n’était plus capable de faire prévaloir le souci de justice sociale. De droite ou de gauche, la plupart des citoyens souhaitent le maintien d’un système d’échanges libres mais organisés et soutenus par l’État, une économie mixte, une protection sociale maximale – somme toute le développement de ce socialisme à la française qui fut conçu à la Libération et remarquablement mis en œuvre par le général de Gaulle. Car le paradoxe de la situation, que je développerai prochainement, est bel et bien le suivant : la France est fortement socialisée et entend le rester. Ceux qui méconnaîtraient cette exigence s’exposeraient à de violentes réactions, et risqueraient beaucoup plus qu’une défaite électorale : tant que la gauche ne présentera pas d’alternative crédible, les erreurs et les échecs de la droite profiteront au Front national, qui guette la faillite des conservateurs à partir de positions solidement tenues.

ATTITUDE

C’est dire que nous ne souhaitons pas l’échec de la droite. Mais notre attitude dépendra comme par le passé du respect d’un certain nombre de principes qui dessinent les limites au-delà desquelles nous exprimerions une opposition active :

– Respect de la Constitution et, tout particulièrement, des prérogatives présidentielles, contre les éventuelles provocations gouvernementales et contre de possibles emballements parlementaires.

– Respect du droit de la nationalité, et des résidents étrangers, dans la fidélité à la tradition nationale, tant monarchique que républicaine.

– Respect des grands principes de la justice sociale et de la protection générale due aux citoyens, qu’il s’agisse des salaires, des conditions de travail, de la santé publique…

– Respect des libertés publiques, tout particulièrement dans le domaine de l’information.

– Respect des principes de l’économie mixte, qui impliquent la politique active de l’État et l’existence d’un secteur public cohérent et efficacement dirigé.

Nous ne serons certainement pas seuls, pour défendre et faire prévaloir ces principes.

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Editorial du numéro 598 de « Royaliste » – 5 avril 1993.

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