La Constitution en débat

Déc 30, 1991 | Res Publica

 

Alors que, dans la classe politique, les arguments en faveur de la réforme constitutionnelle ont été d’une pauvreté consternante, deux éminents spécialistes du droit constitutionnel nous ont récemment offert, par le truchement du « Monde », un débat vaste et solide. Hélas trop vaste pour être repris ici dans sa totalité, solide en ce qui concerne les droits du Parlement et la procédure de révision, mais contestable aussi sur des points fondamentaux puisque Georges Vedel et Olivier Duhamel se prononcent tous deux en faveur du quinquennat.

Le septennat non renouvelable n’a pas, en effet, la faveur des deux éminents juristes puisque, selon le doyen Vedel. Il présente l’inconvénient majeur d’être « peu démocratique ». En outre, cette solution affaiblirait considérablement le pouvoir du président de la République, car beaucoup de politiques et de hauts fonctionnaires se tourneraient vers le successeur possible au bout de deux ou trois ans.

Doublé

Mais le quinquennat proposé présente une particularité, qui a été reprise par le Parti socialiste lors de son congrès : il s’agit d’un « double quinquennat », car le doyen Vedel s’empresse de préciser que la possibilité de réélection doit être offerte pour la raison indiquée plus haut. Il n’en demeure pas moins que ce projet de « doublé » est un bel aveu : en insistant sur le caractère renouvelable, les partisans du quinquennat tentent de masquer l’affaiblissement de l’Etat quant à la continuité. Mais il ne s’agit là que d’une astuce dont la portée juridique est douteuse : parle-t-on aujourd’hui d’un double ou d’un triple septennat sous prétexte qu’aucune limite n’est prévue par la Constitution ? L’hypothèse du double quinquennat ne saurait cependant nous faire oublier que l’élection du président de la République aurait lieu tous les cinq ans – avec toutes les conséquences désastreuses que nous avons déjà soulignées quant au principe de l’arbitrage et quant à l’indépendance du chef de l’Etat.

A la différence du doyen Vedel, Olivier Duhamel ne trouve que des avantages au quinquennat « simple » et avance quatre arguments qu’il faut rapidement critiquer : 1° Le septennat est « trop long » par rapport à la durée d’exercice du pouvoir dans les grandes démocraties. S’agit-il de la démocratie britannique ? Olivier Duhamel oublie son principe monarchique et sa symbolique royale. S’agit-il de la démocratie américaine ? C’est ouvrir un autre débat, qui porte sur le régime présidentiel (2).

2° Il faut harmoniser l’élection du chef de l’Etat et celle des députés. Mais la réduction constitutionnelle de la durée du mandat présidentiel garantit d’autant moins l’harmonisation politique de l’exécutif et du législatif que les Français tendent depuis quelques années à distinguer entre les partis politiques et la personne du chef de l’Etat. En outre, l’accord hypothétique entre le Président et l’Assemblée nationale ne résout en rien la question de la rivalité entre l’Elysée et Matignon, ni l’étouffement de l’Assemblée : au contraire, le président quinquennal serait un super-premier ministre, qui épouserait plus complètement que jamais « sa » majorité – la question étant de savoir qui commanderait dans le ménage.

3° Le rythme quinquennal serait à ce point naturel que F. Mitterrand s’y soumettrait lui-même depuis 1981. L’argument est étrange car ce que Oli vier Duhamel nomme le quinquennat socialiste a duré deux ans ( 1981 -1983) tout comme la cohabitation, et l’attitude présidentielle qui a correspondu au gouvernement de Michel Rocard a duré trois années… D’autre part, est-il pertinent de déduire de cycles conjoncturels une nécessité de droit constitutionnel ?

4° L’harmonisation des rythmes électoraux éviterait la campagne électorale permanente que nous connaissons avec le septennat présidentiel et le quinquennat législatif. L’argument des adversaires du quinquennat se trouve ainsi retourné…

Confusion

Mais au prix d’une belle confusion : on ne peut en effet mélanger la fréquence des consultations (qui concernent les électeurs) et les obligations électorales qui pèsent sur le chef de l’Etat ou sur les députés. Le premier problème concerne la pratique politique, le second touche au fonctionnement des institutions et aux principes constitutionnels : le rythme quinquennal risque de détruire la capacité d’arbitrage, nuit à la continuité, affecte grandement l’indépendance du chef de l’Etat, tandis que la fréquence des consultations entraîne ou risque d’entraîner une moindre participation des citoyens à la vie démocratique.

Enfin, est-il vraiment sérieux d’affirmer que le septennat renouvelable doit être abandonné « justement parce que la démocratie exclut la pérennisation d’une monarchie élective » ? En ce cas, il faudrait démontrer en quoi la Vème République a creusé un déficit démocratique dans la nation, et comment la forme monarchique s’oppose à la démocratie dans des pays comme la Grande-Bretagne, l’Espagne, la Hollande… J’attends avec grand intérêt l’argumentation qu’Olivier Duhamel ne manquera pas de développer sur ce point.

 

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(1) Le Monde du 5 décembre 1991

(2) l’éditorial de Royaliste, n°468

Editorial du numéro 570 de « Royaliste » – 30 décembre 1991.

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