Juan Carlos, roi de servitude

Jan 14, 2014 | Res Publica | 1 commentaire

Un roi affaibli par la maladie. Sa partie de chasse au Botswana et ses autres plaisirs privés qui font scandale dans une nation appauvrie et violentée par les mesures d’austérité. Une infante, soupçonnée de blanchiment de capitaux et de fraude fiscale, assignée à comparaître devant un juge d’instruction. Tels sont les faits qui incitent une journaliste du « Monde » (1) à s’aventurer en littérature pour évoquer ce  roi « soupirant d’épuisement » et « l’essoufflement de l’institution ». Est-ce la fin ?

La question mérite d’être posée. Si nous existions aux yeux des médias, ils nous demanderaient des comptes. Nous avons fait l’apologie du roi d’Espagne ! Nous avons présenté la monarchie espagnole comme référence démocratique, stricto sensu républicaine, de notre projet politique ! Et nous voici floués par ce roi au crépuscule ! Il ne nous resterait plus qu’à pleurer sur le destin malheureux des rois, des princes et des infantes confrontés aux séductions d’une bien triste époque…

Des royalistes qui se laisseraient emporter par ce lamento seraient de piètres politiques et des gens sans mémoire. Héritiers des politiques du XVIème siècle et des monarchiens du XVIIIème,   nous ne craignons personne quant à la lucidité sur les personnes royales. Et nous invitons à la lecture des tragédiens et des philosophes qui disent aux peuples d’hier et d’aujourd’hui comment regarder les rois. Shakespeare, contemporain de Jacques Ier, théoricien de l’absoluité monarchique, et Pascal, qui avait sous les yeux Louis XIV et sa cour, écrivaient en un siècle où l’on imagine que des rois incontestés et glorifiés par de vains courtisans régnaient sur des peuples soumis. Pourtant, ils ont montré en termes admirables les fautes, les crimes, les illusions et les folies des hommes et des femmes qui ont la charge de l’Etat.

Confronté au meurtre et à la luxure dans la transmission du pouvoir, Hamlet fustige le « roi de carnaval » et rappelle qu’un roi « peut processionner dans les boyaux d’un mendiant ». Le roi Lear se démet des devoirs de sa charge sans renoncer à ses jouissances et sans voir qu’il crée une dette impossible à honorer. Lady Macbeth pousse son époux à réaliser ses fantasmes au mépris des lois divines et humaines : ce roi est un « boucher », la reine est un « démon ». Vivant de pain comme tout un chacun, Richard II est « sensible au manque » et, sous son apparence glorieuse, esclave de sa charge (2). Il faut être, jusqu’au bout, roi de servitude si l’on ne veut pas jouer le rôle du bouffon.

Un roi est un homme, non la Vertu en acte. Pascal le dit sans détour : « roi de concupiscence », le monarque est en cela l’égal des autres hommes qui veulent tous dominer et se divertir pour échapper à l’angoisse de la mort. Lorsque nous disons que le roi incarne le pouvoir, il faut se souvenir  qu’ « un roi sans divertissement est un homme plein de misères » qui est, comme toute créature humaine « un roi dépossédé » (3). Comme le parti des politiques, si proche de lui sur ce point, Pascal estime que le roi, aussi misérable soit-il, est simplement utile aux autres hommes dès lors qu’il remplit sa fonction : éviter la guerre civile, qui est « le plus grand des maux ». Point de légitimité, si ce service n’est plus effectivement assuré.

Avec Shakespeare et Pascal, j’ai évoqué en termes généraux la condition personnelle et le devoir politique de l’homme d’Etat mais je ne veux pas me prononcer sur la question de l’abdication de Juan Carlos, qui concerne le roi d’Espagne et le peuple espagnol. Quoi qu’il arrive, nul ne pourra effacer ce que Juan Carlos a été : l’artisan du retour à la démocratie et le garant de la paix civile. Quant à la monarchie, elle n’est pas souhaitable en tous lieux et à n’importe quelles conditions. Pour que le peuple soit libre, il faut qu’elle soit républicaine, et nous verrions sombrer sans déplaisir les trônes absolutistes de divers potentats. Mais il est dans l’intérêt de la France et de l’équilibre européen que l’Espagne demeure une démocratie, réunie autour d’une autorité capable d’arbitrer ses conflits.

***

(1)    Sandrine Morel, « Le Monde » du 8 janvier 2014.

(2)    Cf. Theodore Spencer, Shakespeare et la nature de l’homme, Flammarion, 1974.

(3)    Cf. Gérard Ferreyrolles, Pascal et la raison du politique, PUF, Epiméthée, 1984.

Editorial du numéro 1048 de « Royaliste » – 2014

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1 Commentaire

  1. OLIVIER COMTE

    Vieux républicain, je ne me cache plus pour lire ces articles
    Royalistes qui expriment une morale Républicaine.

    Il est en effet abusif de rejeter, par ignorance calculée, la pensée monarchiste qui forme une part importante du génie français.
    Ici, Bertrand Renouvin, utilise la culture comme moyen de connaissance, rappelant cette culture européenne qui est le meilleur fondement d’ une Europe politique;

    Merci.