Iran : le dernier shah

Avr 28, 2013 | Chemins et distances

Ancien recteur des Université de Shiraz et de Téhéran puis ministre du dernier shah, Houchang Nahavandi s’est associé à Yves Bonati, spécialiste des civilisations orientales, pour expliquer dans une très complète biographie du dernier shah (1) les succès et les échecs des Pahlavi, jusqu’à l’effondrement final.

Couronné shah en 1794, le premier des Qâdjârs fut assassiné trois ans plus tard et sa dynastie fut confrontée à une modernité qu’elle ne sut pas acclimater et elle eut à subir les pressions diplomatiques et militaires des Russes et des Britanniques. Tout au long du 19ème siècle, la vieille Perse perdit des territoires, connut maintes séditions et assassinats d’hommes d’Etat…

Sous l’égide du shah Mozafar-ol-Din, la monarchie de droit divin est remplacée en 1906 par une Constitution inspirée par celle de la Belgique  – incontestable progrès – mais la Première Guerre mondiale entraîne l’occupation de la Perse par les Russes, les Anglais et les Ottomans. Sous domination anglaise et menacé par les Bolchevicks, le pays est dans une situation chaotique. C’est alors que le général de la Division cosaque, Réza Khan, prend le pouvoir à Téhéran le 23 février 1921, rétablit la démocratie parlementaire,  devient Premier ministre puis choisit d’être couronné en décembre 1925 sur la suggestion du clergé. Avant comme après l’instauration de cette nouvelle monarchie, le premier des Pahlavi se fait apprécier par sa volonté de développer le pays dans tous les domaines afin qu’il puisse retrouver sa puissance et son indépendance – d’où de violents affrontement avec les Britanniques sur le pétrole.

Né en 1919, Mohammad Réza Pahlavi est très tôt associé à l’œuvre du fondateur de la nouvelle dynastie, en reçoit la forte marque et lui succède après avoir reçu une excellente éducation qui lui a permis de connaître et d’apprécier le monde extérieur. La transmission du pouvoir s’effectue au début de la Seconde Guerre mondiale, dans une période très périlleuse pour l’Iran. Face à la progression allemande en Russie, les troupes britanniques envahissent le territoire iranien au sud et au sud-ouest tandis que l’Armée rouge conquiert le nord. Les Alliés exigent l’abdication de Réza shah et le Premier ministre Mohammad Ali Foroughi parvient à faire reconnaître son fils par la Chambre des députés. Il faudra que le nouveau shah lutte longuement pour que les Anglais et les Soviétiques – ces derniers veulent faire main basse sur l’Azerbaïdjan iranien au lendemain de la guerre – en viennent à admettre l’indépendance du pays.

La violence des interventions étrangères dans la première moitié du 20ème siècle explique la passion de la grandeur nationale qui habita Mohammad Réza Pahlavi. Devenu une célébrité mondiale à cause de ses mariages avec Soraya puis Farah Diba, le shah fut un grand réformateur, l’auteur de la Révolution blanche et ce chef d’Etat partout respecté qui fit de l’Iran une grande puissance. Houchang Nahavandi et Yves Bomati montrent que le monarque fut servi par de grands hommes – Ahmad Ghavam, le docteur Mossadegh, démis sur pression américaine et contre lequel le shah s’est acharné – qui furent utilisés avec méfiance et brutalement remerciés comme si le roi avait des doutes sur sa légitimité.

Riche de mille détails et très nuancé, le portrait du shah se situe au-delà de la glorification et du dénigrement. Toutes les pièces du procès intenté par les oppositions intérieures et par la gauche occidentale sont examinées – notamment les méthodes de la Savak (2) – mais c’est la marche vers l’échec qui retient tout particulièrement l’attention. Cet échec est d’autant plus impressionnant que le dernier shah est un homme intelligent, très cultivé, passionnément attaché – il faut y insister – à son pays et à son peuple.

Après le procès de Mossadegh et la destitution du général Zahédi – autre serviteur loyal qui meurt en exil – c’est une monarchie autoritaire qui s’installe dans le respect des formes constitutionnelles. L’Iran se modernise rapidement, la Révolution blanche porte bien son nom puisqu’elle redistribue les terres, nationalise les forêts, institue l’égalité des droits politiques entre hommes et femmes, la participation des ouvriers aux bénéfices des entreprises…mais les transformations sociales font naître de nouvelles revendications dont le shah ne tient pas compte. La Savak réprime l’agitation estudiantine sans l’anéantir, les partis créés à l’initiative du monarque ne remplissent pas leur fonction démocratique, la Révolution blanche provoque la fureur du clergé, la révolte de tribus et le scepticisme des gens du bazar. L’immense succès du référendum de janvier 1963 incite le shah à penser qu’il a définitivement vaincu les féodaux et le clergé réactionnaire. Il s’isole, laisse faire la princesse Ashraf qui aime autant les hommes que le pouvoir et l’argent tandis que la corruption se développe. En 1971, les fêtes de Persépolis qui rassemblent les grands du monde entier se tiennent loin du peuple et ce luxueux sommet annonce la catastrophe.

Mohammad Réza Pahlavi est «… un homme qui a étouffé peu à peu les forces vives de son royaume, par dépit sans doute, par aveuglement peut-être, par ambition assurément ». Il se retrouve sans appuis solides et sans relais lorsque grandit la menace d’une révolution religieuse et méprise l’ayatollah Khomeyni – qui bénéficie de la sympathie active du président Carter. L’exil du dernier shah sera la sanction de l’isolement volontaire qui conduit toujours à des erreurs d’appréciation, tantôt dramatiques, tantôt tragiques.

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(1) Houchang Nahavandi, Yves Romati, Mohammad Réza Pahlavi, Le dernier shah /1919-1980, Editions Perrin, 2012.

(2)  Organisation de renseignement et de sécurité.

Article publié dans le numéro 1034 de « Royaliste » – 2013

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