Indignation, révolte, révolution

Juin 5, 2011 | la lutte des classes

Nous faisons écho au Manifeste des Indignés espagnols (1) et aux manifestations de leurs camarades grecs afin que nous prenions le plus vite possible les places et les rues de France. Nous ne confondons pas pour autant nos désirs et les réalités. Il y a dans notre pays des obstacles spécifiques qui tiennent à la campagne présidentielle et l’agitation entretenue autour du Front national.

Les sarkozystes vont déployer tout l’arsenal de leur propagande et multiplieront leurs opérations de diversion en taisant les mesures d’extrême rigueur financière qu’ils prendront si la droite gagne les élections présidentielle et législatives. Les socialistes discrédités par l’affaire Strauss-Kahn (2) vont donner aux médias le spectacle de leurs divisions et balbutier leur misérable programme sans oser se dire et nous dire qu’en cas de victoire ils appelleront les Français à se sacrifier pour rétablir la situation financière et sauver la « construction européenne ». Autrement dit, l’aile droite et l’aile gauche de l’oligarchie française adhérent à la même idéologie financière, économique et monétaire et soutiennent le FMI, la Commission européenne et de la BCE qui tentent de sauver les banques en martyrisant les peuples et en liquidant le patrimoine des nations.

Partout en Europe, les peuples soumis au carcan de l’euro et à la violence financière ont compris que le capitalisme financier devait être détruit et les oligarques chassés du pouvoir. Depuis un an, les médias décrivent des Grecs assommés, des Espagnols et des Portugais résignés – en oubliant le soulèvement islandais. Nous avions fait écho au développement d’une nouvelle contestation en Grèce à l’automne dernier et David Novarro a récemment évoqué l’écho croissant rencontré par les économistes hétérodoxes en Espagne. La France n’est pas en retard : des millions de citoyens sont descendus dans la rue l’an dernier, l’appel de Stéphane Hessel a eu d’innombrables lecteurs et c’est à Paris que s’élabore le programme de la révolution économique et sociale.

En ce début juin, la logique de l’affrontement est désormais évidente :

– la lutte oppose les classes moyennes et populaires à l’oligarchie, toutes tendances confondues, et leurs fractions sociale-démocrates sont totalement disqualifiées en Grèce, au Portugal et en Espagne ;

– cette lutte de classes marginalise le nationalisme xénophobe et pourrait, en France, mettre le Front national en porte-à-faux ;

– la mollesse des syndicats provoque l’apparition de mouvements spontanés de révolte qui s’inscrivent avec leurs succès et leurs insuccès dans une dynamique révolutionnaire ;

– la crise terminale de la zone euro va durcir le conflit entre des gouvernements aux abois et des peuples soumis à d’intolérables contraintes.

La victoire n’est cependant pas pour demain. Le mouvement de révolte doit inventer les organisations politiques représentatives que l’extrême gauche trotskyste ou libertaire, qui s’est figée voici bientôt cent ans, ne peut lui donner. Il lui faut aussi se fixer des objectifs politiques à court terme, qui permettront la révolution éthique espérée par les Indignados. Nous présentons quant à nous la sortie de l’euro comme la condition nécessaire, mais insuffisante, d’une politique de plein développement économique et social. Celle-ci implique des nationalisations, une protection de l’économie nationale et des hausses massives de salaires – donc un engagement de l’Etat qui serait compromis par le retour au régime d’Assemblée.

En France, la tradition gaullienne qui a porté haut et loin les idéaux de la Résistance peut être reprise et prolongée : elle donne au mouvement social sa profondeur historique, elle fait le lien entre les générations, elle offre un nouveau projet au peuple français et pour la France dans le monde. Il n’est pas question de répéter les révolutions réussies de 1944 et de 1958, mais de rester fidèle à la lettre du Préambule de 1946, de revenir aux principes de la Constitution de 1958 et de retrouver la volonté de renouvellement de la politique française. Ce n’est pas facile, mais nous avançons.

***

(1) cf. la traduction de David Novarro sur mon blog : https://bertrand-renouvin.fr/?p=3124

(2) cf. la chronique publiée le 22 mars sur mon blog : https://bertrand-renouvin.fr/?p=3113#more-3113

Editorial du numéro 993 de « Royaliste – 2011

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