Haine de classe

Avr 26, 2004 | la lutte des classes

 

Avec ses deux premiers gouvernements, Jean-Pierre Raffarin a réussi un exploit : agir de telle sorte que la caricature marxiste de l’Etat bourgeois inféodé au Capital devienne une réalité indéniable et odieuse.

Ecoutant naguère les diatribes des derniers staliniens et des jeunes maoïstes contre le Bourgeois et le Capitaliste, je me disais qu’une conception aussi sommaire des conflits sociaux n’avaient jamais correspondu à la réalité historique. Et la complexité croissante des sociétés humaines me paraissait interdire à jamais cette conception sommaire de la lutte des classes que les militants de base résumaient ainsi : la classe bourgeoise dominante soumise aux grands intérêts industriels et financiers produit une idéologie justifiant l’exploitation systématique des travailleurs.

C’est dire que, voici vingt ans, je n’aurai jamais ouvert un livre fustigeant les riches, trop certaine d’y trouver quelques hallucinogènes cultivés par les nostalgiques de la voie albanaise vers les matins radieux du communisme réalisé.

Mais voici que la fiction du « gouvernement des riches » épouse la réalité politique depuis l’arrivée à Matignon, au printemps 2002, d’un terne apparatchik libéral déguisé en notable du terroir. Jean-Pierre Raffarin est l’homme qui gouverne avec le Medef et pour satisfaire aux demandes de ce groupe de pression, d’autant plus gourmand que personne ne lui résiste en haut lieu.

Celui qui fait cette démonstration implacable n’est ni un admirateur du communiste nord-coréen, ni un militant de la Gauche prolétarienne que le camarade Glucksmann aurait oublié de prévenir des changements de ligne. Michaël Moreau est tout simplement journaliste à France soir, en charge du secteur patronal. Sans faire de théorie, sans se livrer à la polémique, il rappelle la série des lois votées depuis 2002, explique comment et par qui elles ont été conçues et présentées à l’opinion publique. Il relève aussi le cynisme de certains propos prononcés par les dirigeants politiques et patronaux au fil des entretiens effectués avec celles et ceux qui traitaient les grands dossiers : SMIC, fonction publique, licenciements dans le secteur privé, intermittents du spectacle…

Selon son tempérament, le lecteur sera assommé ou entrera dans une colère froide.

Non, ce n’est pas la « France d’en bas » qui inspire le brave homme venu du Poitou à l’appel du Président, mais des clubs de députés ultra-libéraux directement branchés sur les bureaux d’études du Medef et d’autres groupes de pression liés depuis toujours au RPR. Le gouvernement des riches réalise la symbiose entre le faux rural charentais et le faux baron Seillière.

Non, ce ne sont pas les braves gens de la droite qui exigent les « réformes » détruisant l’organisation sociale et l’économie française, mais des spécialistes de la « communication » qui expliquent aux responsables de la majorité comment mentir et qui menacent les journalistes irrévérencieux de diverses sanctions. Le gouvernement des riches est celui du mensonge prémédité, concerté et sans cesse réitéré – tant il est vrai qu’il n’y a pas de bonne propagande sans inlassable répétition.

Non, Jean-Pierre Raffarin n’a pas le cœur sur la main, et ce n’est pas pour créer des emplois que le Medef veut supprimer l’ENA, l’ISF et les 35 heures. Il s’agit de faire encore et toujours plus de profit certes. Mais il y a plus : quelque chose d’irréfléchi, de passionnel dans l’attitude des jeunes loups de la majorité et chez ces dirigeants du Medef qui ne sont pas représentatifs de l’ensemble des patrons français. Le plus inquiétant dans le livre de Michaël Moreau, c’est la haine qui suinte par tous les pores ultra-libéraux : « fonctionnaire » est une insulte, le rmiste est un « paresseux »… Comme au 19ème siècle, la haine de classe, ou du moins l’absolu mépris de la condition des hommes et des femmes au travail, c’est d’abord le fait de l’oligarchie. Mais qu’on ne s’étonne pas si la « France d’en bas », moins dupe, moins écrasée qu’on ne l’imagine par ceux qui tentent de la culpabiliser, renvoie vers les élites la haine que celles-ci projettent pour se cacher leur incapacité, leur corruption et leur total égoïsme.

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(1) Michaël Moreau, Le gouvernement des riches, La Découverte, 2004.

 

Article publié dans le numéro 837 de « Royaliste » – 26 avril 2004

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