Guerre en Libye (20 mars 2011)

Mar 28, 2011 | Chemins et distances | 2 commentaires

Le 19 mars, lors du déclenchement des opérations militaires dans le ciel libyen, on entendait déjà chanter victoire à Paris. C’est trop tôt. Et il faut s’entendre sur la signification du mot.

Les conditions de l’intervention militaire en Libye ont été précisément fixées par le Conseil de sécurité des Nations unies qui invite les Etats Membres à « prendre toutes les mesures nécessaires » pour « protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque » mais exclut « le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen ». Le gouvernement français agit selon le droit, ce qui n’était pas le cas lors de la guerre d’agression menée en 1999 contre la Yougoslavie. Et l’Armée française n’est pas en train de faire la guerre de Nicolas Sarkozy et Bernard-Henry Lévy, comme on a pu le craindre lorsque le supposé président prit des initiatives humiliantes pour le ministre des Affaires étrangères, à l’instigation d’un prétendu philosophe de passage à Benghazi.

Voilà qui est clair, mais la suite ne l’est pas. Le colonel Kadhafi peut renoncer et nous serons heureux que les Libyens soient enfin soulagés du poids de sa dictature. Il peut aussi tenir, malgré les bombardements, face à des insurgés faiblement armés : on aboutirait alors à la division de la Libye selon une ligne de cessez-le-feu que l’ONU aurait à préserver. Il faut espérer que ces risques ont été sérieusement mesurés à Paris, à Londres, à Washington. Il faut souhaiter que l’intellocratie parisienne se garde de trop invoquer les droits de l’homme : à Bahreïn, base de la Vème flotte américaine, la majorité chiite opprimée par les sunnites et leur émir avec le concours des saoudiens ne fera pas l’objet de mesures de protection (1). Et il faut se soucier des conditions politiques de la liberté et de la paix civile, qui doivent être le résultat durable d’une guerre bien menée.

De ce point de vue, les précédentes interventions militaires ont été des échecs : l’Irak n’est pas sorti de la guerre civile et connaît une partition de fait depuis l’apparition d’un Kurdistan ; la Bosnie-Herzégovine reste une entité fragile sous protectorat ; le Kossovo est un territoire hors du droit international, dirigé par une administration pour le moins suspecte et subissant une partition de fait. Ces interventions étaient conçues et exécutées par une Amérique encore impériale qui diffusait en tous lieux son discours sur les droits de l’homme, la promotion de l’économie de marché, la décentralisation et la démocratie parlementaire. Ces propos étaient sympathiques, mais inopérants car ils ne tenaient compte ni de l’histoire, ni de la sociologie propres aux nations et aux entités en voie de constitution. Des intellocrates parisiens et des experts autoproclamés ont repris ces thèmes avec une arrogance proportionnelle à leurs ignorances…Mais nous entrons dans une nouvelle période.

Quant aux révolutions de Tunisie et d’Egypte, je plaide pour la prudence dans l’analyse et dans les conseils que nous serions tentés de donner (2). Nous assistons dans plusieurs pays arabes à des mouvements populaires d’affirmation nationale qui détruisent les schémas sur l’islamisme et sur le « monde musulman ». Si la nation est bien le lieu d’expression de la liberté retrouvée, c’est la question de l’Etat qui va se poser : organisation des pouvoirs mais aussi conditions pratiques de l’exercice de la justice, de la garantie des libertés publiques, du fonctionnement des services publics et de la réorganisation de l’économie nationale. C’est dire que les nouveaux Etats nationaux auront avant tout besoin de crédits et, s’ils le veulent, d’aide à la mise en œuvre de plans de développement capables d’assurer la prospérité collective et le bien-être individuel, loin de la sauvagerie ultralibérale. Il ne fait pas compter sur les oligarques européens, ni sur le FMI, pour favoriser ces révolutions économiques et sociales.

***

(1) Nous ne sommes pas systématiquement partisans des monarchies établies : si un pouvoir politique ne bénéficie pas ou plus de l’adhésion populaire, condition de sa légitimité, il perd sa raison d’exister.

(2) Cf. la chronique publiée sur mon blog : « Révolutions : gare aux experts parisiens ! » : https://bertrand-renouvin.fr/?p=2912#more-2912

 

Editorial du numéro 988 de « Royaliste » – 2011

 

 

 

Partagez

2 Commentaires

  1. CRIBIER

    Ceci n’est pas clair du tout, il serait intéressant de nous dire
    comment Bernard Henri Levy a pu influencer Nicolas Sarkozy pour
    cette aventure, à laquelle les autres nations n’ont fait que se
    rallier pour ne pas laisser à la France, l’initiative.

    Il est significatif que les Etats-Unis n’aient pas montré un
    enthousiasme débordant à cette aventure franco-française, sans
    parler de l’Allemagne.
    Seul, l’avenir permettra de dire ce qui est réellement clair dans
    cette affaire mal engagée.

    Nicolas Sarkozy est moins hardi sur la Syrie qui ressemble
    davantage à une nation qu’à un ensemble de tribus, et où la
    population devrait aussi être protégée dans ce cas. Et ne parlons
    pas du Tibet. Ce qui est clair, c’est que si les populations ne
    méritent pas d’être également protégées dans des situations
    similaires, c’est que les raisons de nos interventions couvrent
    certainement d’autres intérêts, et pourquoi pas électoraux dans le
    cas de la France ?

  2. jean-luc bouillot

    Malheureusement au Kossovo c’est une majorité (albanaise) qui persécute une minorité (serbe).

    Les américains ont fait de la base aérienne serbe de Pristina une de leur plus grosse base en Europe.

    Jacques Chirac est intervenu pour rien contre la Serbie.