Georges Mandel, l’homme qu’ils détestaient

Mai 8, 1991 | Res Publica

 

Grand homme d’Etat de la IIIe République, Georges Mandel aurait pu être le recours de la nation en 1940. Pourquoi ce rendez-vous manqué ?

Assurément, Georges Mandel ne mérite pas l’oubli dans lequel il est tombé. Proche collaborateur de Clemenceau lorsque celui-ci devint ministre en 1906 puis chef de cabinet du Tigre pendant la guerre, l’homme fut mis à très rude école – celle d’un pouvoir exercé dans des périodes difficiles, celle d’un patron d’autant plus cruel dans ses sarcasmes qu’il craignait de voir se dresser un rival. Devenu député, puis tardivement ministre, Mandel fut un remarquable homme d’Etat : ministre des PTT, il développe la radio d’Etat et modernise ses services ; ministre des Colonies, il prépare l’outre-mer au conflit qu’il voit venir ; ministre de l’Intérieur en 1940, il assure la sécurité intérieure en neutralisant rapidement les menées extrémistes.

Patriote, intègre, efficace, admiré par Churchill, Georges Mandel est l’homme de la situation lorsque survient la défaite. Mais il refuse de partir pour Londres, gagne le Maroc où il est arrêté. Emprisonné sans jugement en zone libre, il est livré aux Allemands – autre déshonneur de Vichy – et déporté à Buchenwald avec Léon Blum. Ramené en France, il sera exécuté par la Milice quelques semaines avant la Libération.

Pourquoi ce rendez-vous manqué avec l’histoire, que vient sceller une mort tragique ? Remarquable historien de la 3ème République, Jean-Noël Jeanneney s’est efforcé de répondre à la question (1), qui ouvre sur celle, plus large et toujours actuelle, des destinées politiques. Bien entendu, cette recherche délicatement conduite ne pouvait aboutir à une explication unique. Si Georges Mandel refuse de gagner l’Angleterre, ce n’est pas par découragement puisque la certitude de la victoire finale ne l’a jamais quitté, mais en raison d’un doute sur lui-même.

Ce solitaire dur et parfois méprisant est un homme secrètement meurtri. Humilié par Clemenceau, Georges Mandel est cruellement moqué pour sa laideur – et surtout haï. Haï parce que juif et plus encore que Léon Blum. Aux yeux de la droite plus ou moins extrême, un juif révolutionnaire est dans l’ordre des choses, mais un juif de droite, élu du Médoc, admirateur de la Restauration, serviteur scrupuleux du bien public, cela passe l’entendement ! Son assassinat, en 1944, résulte de cette bêtise furieuse. Et son refus de quitter le territoire national s’explique, en partie, par la volonté de ne pas donner la moindre prise au préjugé antisémite qui n’a cessé de le désigner comme étranger. Le livre de Jean-Noël Jeanneney est aussi nécessaire à l’histoire qu’au temps présent.

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(1) Jean-Noël Jeanneney, Georges Mandel, l’homme qu’on attendait, Le Seuil, 1991.

Article publié dans le numéro 558 de « Royaliste » – 8 mai 1991.

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