Gentil n’a qu’un œil

Déc 25, 2000 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

On ne le répètera jamais assez : en politique, il ne se passe plus rien à la télévision. Et les dirigeants qui se produisent dans les émissions à la mode y parlent pour ne rien dire. Mais alors, pourquoi y passent-ils ?

Il y a quelques années, Laurent Fabius répétait à son entourage que, pendant les années quatre-vingt, les responsables politiques avaient eu tort de se prêter au spectacle médiatique.

C’était l’époque où Lionel Jospin poussait la chansonnette devant les caméras, et où Ségolène Royal accouchait quasiment en public – Jeune Mère épanouie recevant à la clinique les photographes de Paris-Match. Le camarade Laurent (il était alors Premier secrétaire) redoutait que ces prestations sympathiques et ces mises en scènes édifiantes ne conduisent les journalistes à s’intéresser à l’envers du décor – à la vie privée réelles des hautes personnalités. Pourquoi le même Laurent Fabius acceptait-il de participer à l’émission de Michel Drucker (Vivement Dimanche), lui qui se montrait naguère si lucide quant aux pièges et aux dérives du travail d’image et de la communication ?

Je me posais naïvement cette question en regardant le ministre des Finances, détendu, souriant, polo noir largement ouvert – si manifestement gentil, et recevant avec une gentillesse désarmante le gentil compliment troussé par Gérard Miller.

Mais « Gentil n’a qu’un œil », dit le proverbe lorrain. L’amical visiteur du dimanche soir est aussi le ministre responsable d’une rigueur budgétaire qui provoque, comme nous l’avons cent fois montré, d’innombrables misères. Laurent Fabius croit-il que les téléspectateurs sont dupes, quand il s’évertue à amuser la galerie – comme mesdames Guigou et Aubry, comme messieurs Bayrou et Gayssot, comme tant d’autres sommités avant et après lui ?

Sans doute les conseillers en communication ont-ils convaincu les éminences susnommées de l’aveuglement et de l’imbécillité du téléspectateur moyen. En ce cas, nos grandes dames et nos fiers messieurs de la politique devraient prendre garde au fait que, dans des journaux très lus, il y a d’excellents critiques de télévision. Je pense à Alain Rémond (Télérama) et à Daniel Schneidermann (Le Monde-Télévision). Ce dernier avait déjà consacré un article drôle et dur à la cérémonie des adieux de Martine Aubry (1) : après avoir reçu une patinette, cadeau de Dominique (Voynet), pleuré sur l’épaule d’Elisabeth (Guigou), la candidate à la mairie de Lille avait évoqué avec émotion l’autre Dominique (Strauss-Kahn), Laurent et tous ses chouettes copains, nous faisant pénétrer, par cet usage intensif du prénom, « dans les coulisses merveilleuses de ce gouvernement des copines, des bisous et des trottinettes ». Comme si nous ignorions ce que découvrent les journalistes et les magistrats qui explorent les-dites coulisses !

Et c’est Daniel Schneidermann qui explique de manière convaincante pourquoi les princes qui nous gouvernent ou voudraient nous gouverner, hommes et femmes, de droite et de gauche, se précipitent chez Michel Drucker, Laurent Ruquier et Thierry Ardisson dès qu’on les sonne : « Ils viennent en rangs serrés, sans savoir exactement pourquoi, ils viennent parce que les autres y viennent, parce qu’il y a de la lumière, ils viennent renifler l’odeur de la pâtée (… ) ils passent aux plateaux du cœur retirer leur portion d’amour, leur bol de points de sondages, leur quignon de popularité.» (2)

C’est pitié que de voir ces hommes d’Etat (ou supposés tels) abdiquer ainsi de leur dignité politique, et chercher n’importe où, auprès de n’importe qui, au sujet de n’importe quoi, une reconnaissance qui ne leur sera pas accordée. Ils sont toujours moins drôles que les comiques de métier, moins beaux que les acteurs, moins belles que les actrices, moins bons professionnels que le trio des animateurs susnommés. Les regardant, nous sommes quelques centaines de milliers, peut-être quelques millions à penser que les consternantes prestations de ces ministres et ministricules n’empêchent pas qu’ils soient confrontés au principe de réalité : perquisitions, garde à vue, mises en examen, et surtout désaveux répétés des électeurs.

Il ne se passe rien à la télévision : passe et repasse en circuit bouclé le long cortège des naufragés.

***

(1) « L’Après-Martine », Le Monde, supplément télévision, 22-23 octobre 2000.

(2)  « Les plateaux du cœur »  Le Monde, supplément télévision, 3-4 décembre 2000.

 

Article publié dans le numéro 762 de « Royaliste » – 25 décembre 2000

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