Le génocide des Juifs d’Europe est la conséquence rigoureuse de la mise en œuvre d’une idéologie simple – mais non simpliste – qui a produit une religiosité criminogène. La démonstration de Philippe Burrin fera date dans l’historiographie du nazisme.

 

Proclamer que Hitler était un malade mental et que le nazisme fut une barbarie, c’est se décerner à peu de frais un certificat de bons sentiments. Détailler à n’en plus finir les rouages de la mécanique exterminatrice est sans doute nécessaire mais ne nous dit rien sur les causes du génocide. Or ce qui nous importe avant tout, c’est de savoir si cela peut recommencer.

Jusqu’à présent, les historiens n’ont pas répondu clairement à cette question angoissée car deux grandes écoles s’opposent : les intentionnalistes, qui estiment que Hitler avait décidé l’extermination, et les fonctionnalistes qui pensent, en gros, qu’il y a eu emballement de la machine de mort. D’autres dénoncent l’antisémitisme catholique, le nationalisme allemand, les circonstances de la guerre, la déchristianisation…

Ces thèses, formulées par des chercheurs de grande qualité, contiennent leur part de vérité. Mais l’obstination exterminatrice des nazis, jusqu’aux derniers mois de la guerre, restait énigmatique jusqu’à ce que Philippe Burrin en donne une explication pertinente.

Cet éminent professeur prend en compte l’antisémitisme catholique et le nationalisme antijuif de l’extrême droite française (dans une excellente mise au point historique) tout en soulignant la spécificité de l’Allemagne, nation jeune, orientée vers une politique impériale, perturbée dans le domaine religieux par l’opposition des catholiques et des protestants, marquée par une culture autoritaire et travaillée par une religiosité nationale-populiste (« völkisch ») qu’on retrouve dans le nazisme.

Les caractéristiques de l’idéologie nationaliste allemande nourrissaient les passions antijuives d’une autre manière qu’en France – étrangère à l’idée d’une religion nationale et raciale – mais sans que l’on puisse discerner dans l’antisémitisme allemand la cause principale du génocide.

Il faut donc réexaminer avec Philippe Burrin l’extraordinaire composé national-socialiste. On y trouve une idéologie raciste, qui place les Aryens tout en haut et les Juifs tout en bas et qui professe un héroïsme pré-chrétien et anti-humaniste impliquant l’élimination des faibles et des « tarés ». Comme les nazis proclament que leur mission est de replacer l’Allemagne au sommet de la hiérarchie des peuples, ce racisme se leste de pangermanisme et d’impérialisme et forme une pensée rigoureusement totalitaire qui rend compte de toute l’histoire humaine, donne le sens de la lutte et en désigne l’issue : le Reich de mille ans.

Dans ce combat cosmique, les Juifs figurent le mal absolu : ils veulent la mort de toute culture et de toutes les nations, pas seulement la perte de l’Allemagne et des Germains. « Cet antisémitisme est radical, car il fait des juifs l’envers négatif de l’identité aryenne » écrit Philippe Burin qui souligne la cohérence de cette idéologie raciste et qui montre en quelques pages lumineuses comment Hitler s’affirme comme le prophète d’une lutte apocalyptique : c’est le Führer qui révèle au peuple allemand cette lutte à mort, c’est lui qui décrit son aboutissement.

Cette religiosité manichéenne donne à l’idéologie raciste une densité extraordinaire et la prophétie hitlérienne trouve sa pleine actualité lors la guerre éclate : « guerre juive» contre l’Allemagne, qui devient une guerre mondiale de la race inférieure contre la race supérieure dont l’éthique aryenne tient en trois mots – santé, culture, puissance – que les Juifs sont censés récuser terme à terme.

C’est parce que les nazis se croient investis d’une mission sacrée qu’il poursuivent, jusqu’au bout de leur défaite, leur sinistre travail d’extermination du peuple juif – persuadés qu’ils se sacrifient pour le salut de la planète.

Il n’y aurait pas eu de mise à mort physique s’il n’y avait pas eu volonté de crime métaphysique. Il n’est pas impossible qu’on tente à nouveau de le commettre.

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(1) Philippe Burrin, Ressentiment et apocalypse, Essai sur l’antisémitisme nazi, Seuil, 2004. 10 €.

 

Article publié dans le numéro 833 de « Royaliste » – 2004

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