François Hollande, sa morale et notre humiliation – Chronique 84

Août 31, 2013 | Chemins et distances | 2 commentaires

Lors de la Conférence des Ambassadeurs, le 27 août, François Hollande ne s’est pas exprimé en chef d’Etat mais en moraliste : « Le massacre chimique de Damas ne peut rester sans réponse et la France est prête à punir ceux qui ont pris la décision infâme de gazer des innocents » ; « c’est une ignominie de recourir à des armes que la communauté internationale a bannies depuis quatre-vingt dix ans ». L’acte dénoncé est atroce mais que vaut la condamnation ? Elle est insensée, quant aux principes dont elle se réclame.

François Hollande s’exprime au mépris de toute prudence, antique vertu, puisqu’il appelle à l’action punitive sans attendre le rapport des enquêteurs de l’ONU. Désigner des coupables, les menacer de représailles sans détenir les preuves de leurs crimes, voilà qui contredit tout esprit de justice. Le prétendu moraliste n’est qu’un homme aligné sur le président des Etats-Unis.

François Hollande voudrait nous faire croire qu’il est en accord avec la « communauté internationale », cette pure institutrice de la morale dont les Etats-Unis seraient le bras armé. Or cette « communauté » a pour principale caractéristique de ne pas exister : il y a des relations internationales, paisibles ou belliqueuses, il y a des institutions internationales où se nouent et se dénouent des rapports de force, il y a un droit international lourd d’ambiguïtés qu’il ne faut pas confondre avec la morale. Le droit ouvre des possibilités, la morale oblige à faire son devoir selon des règles universelles.

François Hollande est manifestement persuadé que les Etats-Unis sont destinés à diriger les forces du Bien. C’est prendre l’idéologie américaine pour argent comptant sans voir ce qu’il en est de la politique américaine. Pourtant, Barack Obama a lui-même déclaré qu’il agirait dans l’affaire syrienne selon les intérêts des Etats-Unis.

François Hollande contredit la vérité historique lorsqu’il affirme que la « communauté internationale » a banni les armes chimiques depuis quatre-vingt dix ans.  Au Vietnam, de 1962 à 1971, 80 millions de litres de défoliants ont été déversés sur plus de 3 millions d’hectares. Ces produits étaient pour 60{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de l’Agent orange qui a contaminé les Vietnamiens et les soldats américains. Aujourd’hui, 800 000 vietnamiens sont malades, 150 000 de leurs enfants souffrent de malformations et 40 000 vétérans américains touchés par l’Agent orange reçoivent une indemnisation. La «communauté internationale » a gardé le silence sur ce crime de masse et elle ne s’est pas plus émue lorsque les Irakiens ont utilisé des neurotoxiques comme les soldats et les civils iraniens, avec l’assentiment des Américains.

Les crimes des uns n’excusent pas les crimes des autres. Les Etats-Unis et leurs supplétifs français seraient-ils fondé à punir Damas si les inspecteurs de l’ONU prouvaient la responsabilité du gouvernement syrien ? Une action militaire serait contraire au droit international puisque le président des Etats-Unis a d’ores et déjà décidé de se passer de l’accord du Conseil de Sécurité. Certes, les puissances décidées à frapper le coupable peuvent invoquer une morale supérieure au droit. Mais si elles veulent agir moralement, il faut qu’elles appliquent les maximes universelles et frapper en tous lieux ceux – Chinois, Nord-Coréens – qui nient les droits de l’homme. Puisque c’est impossible – seuls les Etats faibles peuvent être punis – il serait sage de prendre en considération l’avis des autorités morales lorsqu’on veut protéger des populations. Quant à la Syrie, Barack Obama et François Hollande devraient réfléchir au fait que la punition militaire est rejetée par le pape François, par le patriarche grec-catholique d’Antioche, par le patriarche des Chaldéens, par l’archevêque de Cantorbéry…

Comme le président des Etats-Unis a décidé d’ignorer le droit international, les principes moraux et les autorités morales, il faut en conclure que la décision de frapper Damas se situe dans le champ géostratégique. Si François Hollande faisait ce très simple constat, il se démarquerait immédiatement des Etats-Unis. La guerre à l’américaine n’est pas le moyen d’un objectif politique mais une technique d’éradication du Mal… qui conduit, avec les meilleures intentions du monde, à d’évidentes catastrophes : la « guerre morale » contre la Yougoslavie a placé le Kosovo sous la coupe de criminels, la croisade contre l’Irak a plongé ce pays dans un chaos dont il n’est toujours pas sorti – 3 700 personnes tuées dans des attentats depuis le début de l’année – le désastre afghan est soigneusement occulté par les petits et les grands valets des Etats-Unis de même que l’anarchie libyenne.

A Londres, la Chambre des Communes a clairement signifié au Premier ministre son refus d’un nouvel engrenage sanglant. A Paris, on s’engage dans une nouvelle guerre américaine sans vouloir reconnaître que la guerre civile en Syrie n’oppose pas de bons rebelles à un méchant dictateur, mais des groupes et des communautés : les Alaouites sont promis à l’extermination par leurs adversaires, parmi lesquels des djihadistes qui combattent les Kurdes et qui veulent éliminer les chrétiens.  Avons-nous une intention politique ? Hélas, non. François Hollande a soutenu la rébellion parce que les Américains la soutenaient et il affirme maintenant qu’il n’est pas question de provoquer un changement de régime en écho à la punition limitée qui est envisagée à la Maison blanche.

En décidant le retour complet de la France dans l’OTAN, Nicolas Sarkozy avait confirmé le tournant atlantiste pris depuis de nombreuses années. François Hollande trouve naturelle cette soumission, hier bravache, aujourd’hui pateline. Nous voici confirmés dans notre rôle de perroquets, de commis, de supplétifs. Notre humiliation est totale. J’espère qu’elle se transformera en colère et que cette colère se manifestera dans la rue.

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2 Commentaires

  1. Jacques

    « Avons nous une intention politique ? Hélas non. »

    Tout est dit.

    Et place aux postures.

  2. OLIVIER COMTE

    Voilà plus d ‘un an, une thèse était soutenue (en anglais) à
    l’ Institut Catholique de Paris sur Saint Ephrem.
    Les politiques français ne semblent pas troublés par la destruction prévisible de l’ Eglise Catholique Syrienne qui rejoindra ses frères séparés Jacobites dans une crevasse de l’ histoire.
    Qui se soucie de l’ influence française de l Institut français du Proche-Orient et de ses trois bibliothèques?
    Qui se souvient des actions honteuses du gouvernement de la France, puissance mandataire qui traitait la Syrie et le Liban comme des colonies et se retira devant la seule menace britannique?
    Ce passé colonial rend difficile toute entreprise morale française. Toute entreprise militaire doit suivre un but de guerre. En 1961, les militaires français rebelles n’ avaient
    aucun but de guerre, pas plus que les gouvernements de la IV° République. La guerre ne se fait pas sur un slogan: conserver l’ Algérie à la France ou donner une leçon au régime syrien. La guerre se fait contre un pays, non contre
    une autorité politique. Elle ne se fait pas contre des innombrables centres de commandement et de communication.

    La France devait s’effondrer économiquement après la perte de l’ Algérie. J’ ignore ce qui nous attend si nous ne faisons pas notre nouveau devoir moral.
    Pour nos amis britanniques, la presse prédit de terribles malheurs économiques qui puniront la faiblesse politique.
    Les media, qui se sont attribués un s pour se grandir dans leurs nombreux miroirs, se verraient reprocher un dévergondage grammatical par le commandant Mathieu,
    je vois plus un dévergondage moral de groupes qui se nourrissent de tragédies et frappent virilement le tambour de la guerre du bâton de la morale.
    On ne peut parler à la fois de devoir moral et d ‘intérêt national. Le président Hollande parle de morale, le président
    Obama parle d ‘intérêt national. Le président Hollande est donc indépendant de la politique américaine.
    Le correspondant au Liban du Daily Telegraph annonçait fièrement ,samedi 31,que les deux présidents étaient « commander in chief » et pouvaient donc agir comme des vrais chefs sans courber le front devant des Parlements insolents. Hélas, le président américain annonce son intention de consulter le Congrès et le président français n’ est pas commandant en chef mais chef des armées, ce qui lui donne la seule autorité de procéder aux nominations militaires.
    La constitution de la V° a repris ici les termes et les pouvoirs
    conférés par la constitution de la IV° République.
    Les adversaires de la constitution de 1946 dénonçaient la faiblesse d’ un président qui « inaugurait les chrysanthèmes ».
    Cette formule pourrait prendre aujourd’ hui un sens tragique.