François Hollande, l’insouverain

Jan 12, 2015 | Res Publica

De quoi François Hollande est-il le nom ? D’une gouvernance conçue avant lui mais qui, avec lui, se révèle dans son plein accomplissement : celui d’une « insouveraineté » qui est l’effet d’une reddition politique.

Sur le chemin de notre descente aux enfers (1), Christian Salmon pointe « l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral [qui] ont contribué à brouiller durablement la répartition des pouvoirs entre les deux têtes de l’exécutif, dispositif qui ne va plus de soi ». Il montre aussi que « le péché originel, c’est l’abandon de la souveraineté monétaire » qui implique la soumission à toutes les normes imbéciles édictées à Berlin-Bruxelles sur le budget, l’euro fort et les « réformes » antisociales. Nicolas Sarkozy s’était soumis en brandissant l’étendard du volontarisme, François Hollande a explicité sa normalité en confiant que le rôle de la gauche était de faire en douceur la mutation que d’autres auraient faite brutalement. Ceci sans jamais remettre en cause l’idéologie, les moyens et les objectifs de cette mutation ultralibérale.

Lionel Jospin ne pensait pas autrement à l’époque de la « gauche plurielle », mais l’élu de 2012 va beaucoup plus loin sur la voie des abandons. Le président ( ?) de la République  a changé de Premier ministre après les élections municipales, ce qui est contraire à l’esprit de la Ve République, et il s’est fait imposer ce changement par Manuel Valls, avec la complicité d’Arnaud Montebourg. François Hollande n’en continue pas moins de se comporter comme s’il était à Matignon, ce qui augmente une confusion qui s’étend aux rites, aux gestes, aux usages, aux mots employés. Quelques exemples ? Le président ( ?) de la République était en route pour Bruxelles lorsque la composition du gouvernement Valls fut annoncée dans la cour de l’Elysée. Alors que le pacte est un acte public solennel, inaugural, on additionne les mini-pactes – de croissance, de compétitivité, de responsabilité – qui sont voués à l’échec. On lance des « récits » incohérents et inconséquents qui se substituent à la parole publique. Il en résulte « un effondrement symbolique sans précédent dans l’histoire de la Ve République » qui provoque une cascade de scandales et de reniements : l’Etat providence est remplacé par « l’Entreprise providence », le socialisme est devenu « géostationnaire », la politique de l’offre n’est qu’une « politique de l’offrande » au patronat.

Auteur d’un ouvrage de référence sur la communication politique (2), Christian Salmon excelle dans le démontage des opérations de propagande menées par les acteurs de la scène politico-médiatique. Nous sommes à l’heure américaine, celle du storytelling et des spin doctors où l’on voit Manuel Valls « installer une brand culture cohérente qui raconte le « produit » Valls, un mélange de fermeté, de pseudo-authenticité et de réelle agressivité » (3). Arnaud Montebourg, quant à lui, raconte l’histoire du « réarmement de la puissance publique » et de la « réorientation de la politique européenne » avant de mener un jeu politicien en vue de la primaire de 2016 mais « son surmoi politique, ce n’est ni Roosevelt ni Colbert, c’est Kafka » car il veut le redressement économique et la restauration du politique dans un système ultralibéral qui l’interdit. Il sera prestement piégé et liquidé par Manuel Valls en août 2014.

Le Front national de Marine Le Pen s’est tout entier livré aux techniques rentables du marketing politique. Il pratique le name dropping (on balance des noms célèbres – Todd, Marx, Gauchet – comme si on était en connivence) et il est devenu un catch all party, un parti attrape-tout : « le Rassemblement bleu marine est un parti « liquide », pour reprendre le paradigme du sociologue Zygmunt Bauman, un parti caméléon capable de s’adapter à toutes les frustrations et répondre à toutes les pulsions dans une logique de marketing. » Et Nicolas Sarkozy ? Analysé en de fortes pages, il est exécuté en quelques mots : c’est un joueur, livré à son addiction qui le fait toujours revenir au casino sous le regard complice des journalistes qui coproduisent le sarkozysme. Comme Berlusconi, il reproduira jusqu’à épuisement la même manière datée de faire de la politique – qui est aussi celle de Manuel Valls et de Matteo Renzi (4).

Ces éclaircissements ne sauraient faire perdre de vue la question essentielle du livre : la souveraineté et sa négation. Pour Christian Salmon, « le hollandisme est la forme politique de l’insouveraineté néolibérale, fossoyeur non seulement de la gauche, mais du politique ». Cette insouveraineté se manifeste dans la campagne électorale permanente du président élu et de ses rivaux et par une fabrication sondagière de notoriétés qui se prennent pour des légitimités, par l’hypermédiatisation de personnages toujours guettés par la banalisation et par ses conséquences : l’écrasement de la temporalité politique dans le tempo médiatique et une « gouvernance » selon les ressentis et les apparences face à ceux – « Marine » et les polémistes en vogue – qui misent sur le marketing des pulsions.

Que faire ? Christian Salmon dit fort justement que l’Etat est apparu, lors de l’éclatement de la grande crise en 2007-2008, non comme le problème mais comme la solution. J’en conclus que l’insouveraineté n’a pas détruit la souveraineté : elle refuse le passage de la puissance à l’acte qu’une autorité politique, pour le moment absente, pourrait réaliser.

 

***

(1)   Christian Salmon, Les derniers jours de la Ve République, La descente aux enfers, Fayard, 2014.

(2)   Cf. Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, 2007.

(3)   Spin doctor : façonneur d’image ; to brand : marquer un animal au fer rouge.

(4)   Cf. l’étude que Christian Salmon a consacrée à Matteo Renzi sur le site Mediapart.

 

Article publié dans le numéro 1070 de « Royaliste » – 2015

 

 

Partagez

0 commentaires