François Gerlotto : Confessions d’un climato-sceptique – 5

Oct 7, 2021 | Billet invité

 

V – SCIENCE, OPINION ET POLITIQUE

Je voudrais, avant d’analyser ces relations entre science, opinion et politique, signaler un dernier point : la recherche, dans notre pays mais aussi dans le monde, est malade. Cela vient d’une mauvaise compréhension de ce qu’elle est et de son utilisation forcément inadéquate pour des objectifs qui ne sont pas les siens. Notre société confond science et technique, elle attend de la recherche non pas des réflexions et des analyses sur le fonctionnement du monde ou sur ses évolutions, mais de « l’innovation », du progrès technologique au service de l’économie plus encore que de l’individu. Combien de chercheurs présentant leurs travaux à une assistance profane n’ont-ils pas été interrompus par la question universelle : « ce que tu fais, à quoi ça sert ? ». Confondant science et technologie, le public attend alors de la science qu’elle réponde immédiatement à la demande sociétale du jour. Et quand elle ne peut pas le faire assez vite (comme dans le cas de la pandémie) ou que ses réponses ne vont pas dans le sens attendu (comme pour le GIEC), la science devient le bouc émissaire des problèmes sociaux. Mauvaise utilisation de l’outil, qui aboutit à de mauvais résultats, lesquels mènent à des soupçons de mauvaise volonté ou d’incompétence des chercheurs, donc à un renforcement des règles qui justement produisent ses maux : la spirale infernale est enclenchée.

L’un des exemples de règle absurde parmi les plus visibles et les plus destructeurs, est certainement celui de la quantification des indicateurs destinés à l’évaluation des chercheurs. Il est difficile en effet d’apprécier qualitativement à un instant donné le travail d’un chercheur, dont on ne sait pas, pendant les années durant lesquelles il est censé étudier un sujet, s’il se la coule douce sans rien faire ou s’il travaille sérieusement mais a besoin de temps pour produire des résultats. Des bureaucrates soupçonneux ont donc introduit des indices d’évaluation qu‘ils pensent objectifs car strictement quantitatifs : nombre de publications par an, nombre de citations de ces publications dans la littérature scientifique, etc. Des primes conséquentes ont même été réservées aux « mieux publiants ». Résultat : on publie à qui mieux-mieux, on se fait citer par les copains, on est quantitativement dans les clous. Mais ceci se fait dans l’immense majorité des cas au détriment de la vraie recherche, en particulier de celle qui exige du temps.

Cette dérive est devenue si universelle qu’un Didier Raoult ira jusqu’à s’enorgueillir de publier plus de 100 articles par an : deux par semaine[1] ! C’est de la folie. Partir d’une observation, l’analyser, concevoir une hypothèse, imaginer des expériences, commander et recevoir le matériel pour les réaliser, recueillir les données, réaliser les expériences, élaborer des modèles, traiter et interpréter les données, aboutir à des conclusions, écrire un article, le soumettre à une revue qui le fera évaluer par des arbitres (en général plusieurs allers-retours entre l’évaluateur et l’auteur), obtenir l’approbation de la revue, le publier : en trois jours !!!

Cela n’a aucun sens, et montre bien que, le nombre et non plus la qualité des publications étant devenu une fin en soi, un travail scientifique qui se conçoit, se réalise et se publie en une semaine est au mieux inutile, au pire faux. En aucun cas il ne peut être évalué sérieusement. Il est évident qu’aujourd’hui il peut se publier n’importe quoi. En même temps, c’est logique, les « revues scientifiques » (ou prétendues telles) se sont multipliées comme des champignons, car cela rapporte des sous de publier des articles scientifiques. Tout le monde paye : l’auteur pour être publié, le lecteur pour lire l’article, les bibliothèques pour s’abonner, etc. Et sans que cela ne coûte rien à l’Editeur, puisque l’auteur est prié de soumettre un manuscrit déjà édité aux normes de la revue et prêt à imprimer. Sans oublier que cette inflation impose au chercheur de perdre son temps en lecture d’articles imbéciles pour pouvoir extraire de cette masse étouffante les rares travaux intéressants. Augmentation quantitative, baisse qualitative, c’est fatal. En outre cette baisse qualitative aboutit à une suspicion d’incompétence des chercheurs, donc à une dégringolade et de leur position sociale et de leur rémunération, ce qui détourne les meilleurs de cette activité, aboutissant à une nouvelle baisse qualitative, etc. Autre cercle vicieux. Sans parler des pans entiers de la recherche qui sont abandonnés, car inadaptés à cette logorrhée imposée.

Je crains que ce long paragraphe (très incomplet par-dessus le marché) ne semble quelque peu hors sujet. Mais il me paraît important de rappeler les problèmes de la recherche, afin que l’on puisse mieux comprendre pourquoi elle est souvent sans argument devant certaines critiques sociétales.

Revenons à cette « guerre des sciences ». L’expression est un peu malheureuse, il faudrait dire « guerre des utilisateurs des recherches scientifiques ». En effet ce que l’on voit paraître dans le domaine public, ce sont plus des interprétations différentes, politisées, de ces hypothèses et données parfois tronquées ou mal comprises que j’ai décrites plus haut, que des différends réellement scientifiques.

Que quelqu’un fasse un choix de société même contraire à celui que pour ma part j’estimerais le bon, n’est pas blâmable en soi, bien évidemment.  Tout le monde a le droit d’avoir une opinion et d’aboutir à une option politique compatible avec cette opinion. Ce qui est condamnable, c’est que pour valider cette opinion, on travestisse la réalité et les résultats des analyses scientifiques.

On peut tout à fait comprendre, même si on le combat, le choix de ne pas tenir compte des conclusions et recommandations du GIEC, s’il est argumenté par des réflexions qui ne soient pas des accusations mensongères sur la validité des travaux. Le tenant de ce choix pourrait considérer, par exemple, que le « business sale » qui profiterait éventuellement d’une politique « bas carbone », comme les extractions de métaux rares sans précaution écologique, les fabrications de batteries, la vente et l’installation d’éoliennes etc., fait plus de mal à la société et à notre culture que les dégâts que va provoquer le changement climatique ; ou que les vraies urgences ne se situent pas au niveau du climat.

C’est là typiquement un choix politique. La grandeur de la politique est de rassembler tout ce qui peut être connu sur un point d’importance pour la société, de « peser le pour et le contre », de prendre une décision finale qui vient pour beaucoup de l’intuition et de la culture du politicien, et de savoir l’imposer sans que cela détruise la société, même si cette décision est impopulaire ou incomprise. C’est d’ailleurs à cette qualité d’intuition et de vision globale du fonctionnement et de la vocation de son pays, puis à la volonté et à la capacité de mettre en œuvre la politique qu’elle rend nécessaire, que l’on distingue un Charles de Gaulle d’un François Hollande ou d’un Emmanuel Macron. Il faut aussi, bien entendu, que cette décision s’avère être la bonne, ce qui ne peut être confirmé que par le temps. C’est le fameux « L’Histoire m’absoudra[2] » de nombre d’hommes politiques ayant pris des décisions (bonnes ou mauvaises) pour lesquelles ils ont été un temps vivement critiqués par la population. Et, pour en revenir à la science, le politique doit pouvoir dire « je connais vos résultats, je suis conscient de leur pertinence, j’ai lu vos recommandations, mais je ne vais pas les appliquer car il y a d’autres questions sociétales que je juge plus graves et qui entrent en conflit avec elles ».

Ce que l’on ne peut pas accepter, c’est lorsque, pour renforcer un choix, on aille jusqu’à dénaturer des résultats objectifs offerts justement pour permettre ce choix. J’en donnerai deux exemples.

Pour ou contre la réduction des GES ?

Nous pouvons très bien imaginer un politique nous disant : « Je m’oppose à l’application immédiate des recommandations du GIEC, car il y a d’autres problèmes plus graves pour l’humanité, à résoudre en priorité. Je mentionnerais en premier la démographie mondiale : avec son rythme et ses dissymétries géographiques. Lié à cela, j’évoquerais le dossier clé de l’éducation des femmes et de l’emploi des femmes dans le tiers-monde. Dans la même urgence, il y a l’eau (…) et la nourriture. On ne le répètera jamais assez. Autre problème (…) : la pollution des rivières, des sols, de l’air des villes, des océans. Dans beaucoup de pays, on dépense l’énergie sans discernement. S’impose donc un grand programme d’économie d’énergie à l’échelle mondiale. Mais bien sûr, il ne faut pas dissocier cela des problèmes sociaux de notre société : la pauvreté, le chômage qui s’étend… ». Ce texte n’est pas de mon invention (sauf la première phrase), mais est tiré du livre de Claude Allègre (C.A., p. 260), et il me semble très pertinent. Pourquoi ? Parce qu’il ajoute au dossier d’autres éléments que le réchauffement climatique, qu’un politique doit prendre en compte avant de décider.

Sauf que pour aboutir à ce choix, qui traite là aussi de priorités sur lequel une discussion peut être menée, C. Allègre a cru nécessaire de présenter des arguments « scientifiques » (dont il est démontré qu’ils étaient faux) dans le seul but de dévaloriser l’autre option, celle de la lutte contre le réchauffement, afin d’éviter toute discussion, d’interdire tout autre choix politique. Voilà qui permet de ressortir le fameux TINA[3], « Il n’y a pas d’alternative », d’aboutir à cette prétendue absence d’alternative qui exonère le politicien de toute responsabilité. C’est hélas le jeu que la plupart d’entre eux jouent de nos jours, pour pouvoir jouir des avantages du métier sans avoir à en supporter les devoirs – et les risques.

Pour ou contre la vaccination ?

Les résultats des travaux scientifiques, des expertises etc. montrent tous que les vaccins sont efficaces pour ralentir, voire éteindre la pandémie. D’autres travaux (que je ne connais pas mais que je peux imaginer) pourraient montrer aussi que certains (laboratoires pharmaceutiques, « Big Pharma »…) se « gavent » avec ces vaccins et ne les produisent et distribuent pas pour le bien de l’humanité mais pour celui de leurs portefeuilles. Ou que d’autres mettent à profit cette pandémie pour réduire les libertés des citoyens et généraliser l’emprise de l’État sur la population, etc.

A partir de ces résultats obtenus sur des sujets différents, au moins trois positions sont possibles :

  • Obliger toute la population à se faire vacciner, en considérant que la santé du consommateur est prioritaire pour maintenir l’économie, sans rien changer au fonctionnement du système (c’est l’option qui semble avoir été choisie par notre gouvernement), et en justifiant par la protection sanitaire (réelle ou supposée) l’emprise de « Big Brother » sur la société tout entière.
  • Obliger toute la population à se faire vacciner, mais changer profondément une organisation économique et sociale qui est en grande partie responsable des difficultés actuelles (comme par exemple le système de santé, avec la suppression des lits d’hôpitaux ; et le système économique qui fragilise la santé des humains et des écosystèmes).
  • Ne pas rendre le vaccin obligatoire, afin de sauvegarder la liberté des citoyens et leur laisser le choix de leur propre destin, au risque de la maladie.

Cette troisième position, qui est celle qui fait le plus débat, est très éclairante. Elle nous est présentée avec deux explications différentes, qui montrent bien où se trouve le problème. La première consiste à nous mentir, un peu comme Claude Allègre à propos du climat, en s’appuyant sur des arguments faussement scientifiques, de ceux dont j’ai montré l’origine. Elle prétend alors qu’il est prouvé (scientifiquement !) que le vaccin ne sert à rien, qu’il est dangereux, que tout ceci est un complot entre Big Pharma et l’État pour nous embastiller dans nos propres chambres et faire de l’argent sur notre santé. Position absolument intenable, puisque ces affirmations sont dénuées de tout début de démonstration probante. L’autre se place sur un autre plan : nous nous trouvons confrontés à une question philosophique : doit-on mettre l’augmentation de l’espérance de vie au-dessus de la liberté de choix et de conscience ? Citation d’un tenant de cette position : « Telle est la vertu fondamentale du vaccin qui ne sert pas d’abord à vaincre le virus, mais à tester l’humain, à tester la capacité de l’humain à se laisser traiter pour devenir conforme à une norme qui enfin ne dépasse pas les bornes de la raison raisonnante, mais se confond avec elle, sous la forme d’un calcul exact, d’une équation pure et simple qui rejette l’inconnue dans les limbes d’une existence souterraine où la vie ne se distingue plus de la mort[4]». Cette position a toute sa pertinence, car elle ne trafique pas les données et ne nie pas que le vaccin sauve des vies. Simplement elle donne aux valeurs morales et éthiques de notre société des coefficients différents de ceux qui sont utilisés par ceux qui préconisent la deuxième solution avec vaccination obligatoire (je ne parle pas de la première, qui est indécente). Elle oblige au débat, et à un débat qui déborde largement les questions scientifiques et techniques en le plaçant dans un autre domaine, qui est, là aussi in fine, celui du politique.

EN GUISE DE CONCLUSION.

Ces réflexions n’avaient pas pour but d’aboutir à une conclusion « pour ou contre », mais de comprendre les biais et les erreurs qui mènent à ces disputes, dans tous les cas où une discussion politique s’appuie sur des résultats scientifiques. Un mouvement politique se doit d’avoir un avis et de prendre position sur les questions comme celles que j’ai présentées. Mais il doit le faire de façon honnête et réfléchie. Il a besoin d’informations pertinentes. C’est son rôle ensuite, en fonction de ses choix de société, de décider quelle voie suivre.

Il y a deux raisons principales, à mon avis, à ces polémiques.

La première est une mauvaise compréhension et utilisation des résultats de la recherche, comme j’espère l’avoir décrit de façon lisible. On s’empare d’une hypothèse non démontrée en la considérant comme prouvée, afin de couvrir son opinion d’une bannière scientifique. Dès lors toutes les dérives deviennent possibles puisque ces tronçons de positions scientifiques ne peuvent en aucun cas se faire valider correctement. Comment s’en sortir ? En faisant confiance aux institutions dont s’est doté l’Etat depuis des siècles, pour justement éviter ces errements : l’Académie des Sciences, l’Académie de Médecine, l’Ordre des Médecins, les Commissions Scientifiques des grands Instituts, etc. Inutile de construire ex nihilo des comités de prétendus experts. Ce sont au contraire ces derniers, venant d’on ne sait où et choisis par le Prince sur on ne sait quels critères, qui peuvent être suspectés de conflits d’intérêt, quand les institutions que je viens de lister sont constituées de personnalités élues ou proposées par leurs pairs sur leurs qualités, à la position officielle et stable, donc celles qui n’ont ni l’habitude ni le besoin de dire n’importe quoi.

La seconde est ce que l’on doit bien appeler la lâcheté des gouvernants, qui font des choix de société, quels qu’ils soient et aussi bons ou mauvais qu’ils soient, sans vouloir en endosser la responsabilité. Ils peuvent aller jusqu’à pousser le chercheur à fausser ses travaux afin d’arriver au fameux « TINA[5] » de Mme Thatcher, qui les exonère de cette responsabilité. Car les résultats sur lesquels ils s’appuient ne sont plus réellement fiables, et l’on peut douter de leur véracité et des raisons qui les ont fait choisir. C’est d’ailleurs à l’emploi qu’ils font de ce TINA que l’on peut juger de leur (mal)honnêteté : il y a toujours des alternatives. Nous avons vécu, dans le déroulement des actions gouvernementales pendant la pandémie, suffisamment d’exemples absurdes voire désopilants (la farce grossière sur les masques, par exemple) pour ne pas avoir à insister. Tous les chercheurs ont eu un jour ou l’autre à faire face à ce dilemme : maintenir sa propre hypothèse ou « obéir aux consignes d’en haut » et donner la priorité à celle qui aboutit à justifier « scientifiquement » la position prise auparavant par l’État[6]. Et le pouvoir de ce dernier, qui est aussi l’employeur, est très, très persuasif… Ici aussi, posons-nous la question : comment s’en sortir ? En ne mélangeant pas tout, en rendant à la recherche son sens et sa vocation, en en connaissant les limites et en sachant que ce qu’elle fournit sont des conclusions et des recommandations, pas des ordres ; en ne se cachant pas derrière de prétendues conclusions scientifiques ; en acceptant – pour le politique – la grandeur et les responsabilités de la fonction. Bref, en exigeant du politicien qu’il fasse son métier, qui est de décider d’une voie de développement pour le bien de la société en pondérant les critères de choix suivant ses positions politiques, sa culture et son intuition,  à partir du plus grand nombre d’informations possibles.

Nous en sommes loin…

François GERLOTTO

 

[1] « Est-ce que vous vous demandez comment Mozart a fait ? Je vais même vous dire, en plus de 150 publications par an, j’ai écrit dix livres en même temps » (D.R., page 220)

[2] « La Historia me absolverá « , titre d’un livre de Fidel Castro

[3] There Is No Alternative, expression de Margaret Thatcher

[4] Lettre ouverte de Florence Louis et Edouard Schaelchli à Martine Wonner, députée : « Contribution au débat qu’on nous refuse ». Sabres, 21 juillet 2021

[5] “There Is No Alternative”, il n’y a pas d’alternative.

[6] J’en ai vécu un cas dans ma carrière (pas d’une importance démesurée, mais typique), que j’ai publié dans un article scientifique (Gerlotto, 2017. ICES Journal of Marine Science (2017), 74(9), 2321–2332), que l’on peut se procurer sur le web.

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