La paix scolaire, nous l’avons espérée tout au long du dialogue interrompu de façon si surprenante et brutale le 22 mai dernier. Cette paix, nous la désirions pour elle-même, parce que rien n’est plus stupide que cet affrontement mené au nom d’une doctrine archaïque et illusoire, dans l’oubli de la véritable crise de l’enseignement français. Cette paix, nous la voulions pour le pays tout entier, puisque la question de l’école est une des conditions essentielles de son unité, toujours fragile et si régulièrement compromise.

Cet espoir n’était pas vain. Les responsables de l’enseignement libre et les évêques de France, loin de condamner a priori le pouvoir socialiste, offraient, par leur volonté de négociation et par leur reconnaissance du caractère arbitral de l’Etat, une occasion historique d’établir le principe du pluralisme scolaire et de garantir ses modalités. Le Président de la République et son gouvernement, de leur côté, semblaient décidés à trouver le « point d’équilibre » qui permettrait d’apaiser les esprits. Contre les extrémistes des deux camps, contre les partis politiques de droite et de gauche ravis de pouvoir mobiliser leurs troupes sur cette question passionnelle, nous avons dit et répété que l’accord était possible, que la chance devait être saisie, et qu’elle pouvait l’être mieux encore après l’excellent discours prononcé par le Cardinal Lustiger à Versailles.

TANT DE FAUTES…

Dans la soirée du 22 mai, cette chance si clairement offerte a été refusée par le Premier Ministre. En acceptant qu’une loi déjà contestable soit aggravée par des amendements présentés par les plus intolérants des socialistes, le gouvernement, malheureusement soutenu par le Président de la République, a failli à sa tâche. Faillir est bien le verbe qui convient, dans tous les sens énumérés par le dictionnaire. Le but n’est pas atteint, le gouvernement manque à l’honnêteté en faisant passer des amendements qui n’ont pas été négociés, il se trompe sur les intentions des représentants de l’enseignement libre, il cède à un groupe de pression, et s’expose ainsi à une faillite politique par accumulation de fautes pourtant évitables.

Tant de fautes en effet, qu’il faut souligner avec l’espoir, aujourd’hui très ténu, qu’elles pourront être effacées. La première faute, politique, comporte trois aspects. En prenant la titularisation comme critère du financement ultérieur des établissements privés, le pouvoir porte atteinte au principe de la liberté d’enseignement et enclenche une mécanique d’intégration par la menace. En décidant d’inscrire dans la loi des conditions restrictives et finalement étouffantes pour la liberté d’enseignement, le pouvoir se situe dans la logique de revanche voulue par le clan laïc et contredit l’idée d’unité qu’il prétend exprimer. En prévoyant une révision du régime des établissements privés au bout de huit ans, le pouvoir avoue que sa loi scolaire n’est qu’une simple « trêve », comme l’a dit P. Mauroy, et que la guerre en fait rallumée se prolongera pendant des années.

La seconde faute concerne la méthode. Quand un gouvernement négocie pendant deux ans, quand il déclare rechercher un compromis et un point d’équilibre, il ne peut, sous peine d’incohérence et de scandale, remettre en cause ce qui avait été discuté et acquis. Le résultat est un « beau gâchis », de considérables « dégâts » (2) et la colère justifiée de tous ceux qui, ayant voulu l’accord, se sentent bernés.

La troisième faute est d’ordre stratégique. En portant délibérément atteinte au principe de liberté, en ruinant l’esprit de négociation, le pouvoir a rendu inévitable la manifestation parisienne du 24 juin et coalisé contre lui des éléments hétérogènes : partis de droite ravis de l’aubaine et partisans de l’école libre, mais aussi, parmi ces derniers, les tendances dures et modérées qui s’affrontaient depuis des mois. Tous désormais se rassemblent pour préparer une manifestation d’une ampleur exceptionnelle, contre un pouvoir qui a créé les conditions de la colère, stimulé des haines latentes, et peut-être préparé ce « climat d’insurrection » redouté par Pierre Daniel (2).

LES MAUVAISES RAISONS

Comment en est-on arrivé là ? Pour justifier son attitude, M. Mauroy a prétendu que la manifestation parisienne de l’UNAPEL était décidée avant le débat parlementaire. Ce qui est évidemment faux. Chacun sait que Pierre Daniel refusait depuis deux ans de l’organiser à cause des débordements et des récupérations politiques possibles. Persévérant dans son illusion, le Premier Ministre a dénoncé le caractère droitiste de la manifestation. Comme si les partisans de l’enseignement libre (71{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des Français) ne se recrutaient que dans l’opposition. Comme si l’UNAPEL n’avait cessé de tenir les partis de droite à bonne distance pour préserver son autonomie dans la négociation et dans l’action. Comme si les évêques et les responsables de l’UNAPEL n’étaient pas exposés, depuis plusieurs mois, aux manœuvres, aux pressions et même au chantage de ceux qui recherchent l’affrontement avec la gauche.

Les raisons tactiques et politiques avancées par le pouvoir ne tiennent pas. Restent les motifs psychologiques et historiques qui peuvent, seuls, expliquer une attitude aussi indéfendable. Il y a cette conviction étrange, chez le Président de la République, d’une agression perpétrée sous la Vème République contre la laïcité et, partant, d’un équilibre à rétablir, non entre les forces présentes, mais par rapport à l’histoire. Cette conviction – tout à fait contestable quand on songe à l’effort accompli depuis 1958 en faveur de l’enseignement public – a déplacé l’enjeu sans que cela soit dit, et poussé, les manifestations d’Angers aidant, à cette rupture inacceptable.

Inacceptable en effet, mais peut-être pas définitive. Grâce à la fermeté et à la sagesse de son président, l’UNAPEL montre déjà qu’elle veut conserver l’entier contrôle de la manifestation du 24 juin. Grâce à Pierre Daniel, grâce au maire de Paris, qui redoute lui aussi cette journée, et de façon plus sûre encore si le cardinal Lustiger accepte de parler à nouveau, le pire peut être évité dans la rue. Il peut l’être aussi le plan législatif, comme l’espère le président de l’UNAPEL, si le gouvernement revient sur ses amendements devant le Sénat – sans oublier l’intervention possible du Conseil Constitutionnel. Le pire, dans la nation, peut enfin être évité si le Président de la République décide de se libérer du poids de son passé militant, par souci de l’unité actuelle et de l’arbitrage vrai.

***

(1)    Les termes sont de Guy Claisse dans « Le Matin », du 24 mai.

(2)    « Le Monde » du 26 mai.

Editorial du numéro 406 de « Royaliste » – 6 juin 1984

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