Exil et liberté

Jan 17, 2009 | Chemins et distances

Cinéma

POUR UN INSTANT LA LIBERTE

Les livres et les films sur l’exil abondent. Arash T. Riahi a choisi quant à lui de montrer ce qui se passe après l’évasion et avant la liberté, après le passage de la frontière et en attente de visa, dans l’étrange zone du droit et du non-droit où tous les coups du sort, bons ou mauvais, sont possibles.

A l’opposé des films militants, lourds de bonne conscience et parfaitement nets sur la ligne de partage, voici un film qui évoque sur le mode philosophique la lutte politique saisie aux points extrêmes de l’engagement : là où il est effectivement question de la prison et de l’exil, de la torture et du respect des droits de l’homme, de la liberté et de la mort.

Voilà qui semble annoncer une œuvre admirablement ennuyeuse. Mais Arash T. Riahi l’a conçue selon sa propre expérience : celle d’un jeune Iranien qui a pris avec ses parents le chemin de l’exil en 1982 et vécu plusieurs des épreuves racontées dans le film. Revenu en Turquie pour connaître les nouvelles conditions de survie de celles et ceux qui demandent l’asile, ayant tourné avec des acteurs et des figurants iraniens qui se sont eux-mêmes exilés à différentes époques, il parvient sans forcer son grand talent à nous faire entrer dans trois histoires parallèles de fuite et de délivrance qui se déroulent entre deux pelotons d’exécution.

Un couple et leur jeune fils, deux jeunes hommes chargés de deux enfants, un vieux professeur iranien et un jeune kurde ont fui la dictature des mollahs et se trouvent dans une petite ville de l’Est de la Turquie. Tous demandent l’asile aux fonctionnaires de l’ONU. Tous attendent leur visa vers un pays de liberté : hôtels misérables, tenanciers délateurs, violence de la police turque, agents des services secrets iraniens qui enlèvent et torturent, faim et froid, désespoir…

Cela pourrait faire un film sinistre. Tel n’est pas le cas. Dans les familles, dans les pays accoutumés au malheur, chaque instant de joie est vécu dans sa plénitude – non comme un défoulement mais comme une grâce reçue comme telle. « Pour un instant la liberté » est un titre qui souligne la fragilité de la libre existence, avec ses fragments de bonheur : une conversation entre époux dans la douceur du soir, un rôti de cygne, une soirée en boîte (laser et techno à Erzurum comme partout) et surtout le sourire et les jeux des enfants.

Arash T. Riahi dit qu’il a fait un film sur « l’entre-deux-pays ». Ses personnages ne sont pas dans un no man’s land mais ils subissent l’épreuve universelle des êtres qui sont à la fois dans le monde normal (une petite ville turque) et hors de ce monde puisqu’ils n’ont pas de papiers et pas ou plus d’argent. Ils peuvent aller et venir librement mais ils n’ont nulle part où aller tant qu’ils n’ont pas Le Visa. Ils peuvent parler librement et même manifester devant les bureaux de l’ONU car la Turquie est un pays plus libéral que l’Iran mais les bureaucrates internationaux, aussi gentils et compréhensifs soient-ils, respectent des lois et appliquent des normes qui excluent des demandeurs d’asile ou qui les maintiennent dans une interminable attente – parfois plusieurs années. Les réfugiés iraniens ont passé une frontière visible et dangereuse mais ils se retrouvent devant une frontière invisible qu’ils ne peuvent franchir sans le bout de papier tamponné par un fonctionnaire qui ne prend pas en considération les liens de l’amitié, la force d’un amour – ce qui fait l’essentiel de la vie.

Cette fiction tournée à Erzurum est une réalité quotidiennement vécue à Calais, dans notre France où l’on est plus libre qu’en Turquie, par des réfugiés dont presque plus personne ne s’occupe depuis la fermeture de Sandgate – opération médiatiquement réussie. Tous les Français qui s’occupent des immigrés et des réfugiés le clament : ici aussi on brise des vies et on laisse se créer de telles conditions de survie dans l’entre-deux-mondes que les frères de misère se battent, volent et violent.

Arash T. Riahi montre que la solidarité a des limites, que l’humanisme est fragile et que dans les situations extrêmes on a vite fait d’appliquer la morale du sauve-qui-peut sans que ce soit un pur égoïsme de fuyard : par la ruse, par la force, on tente de sauver les siens plutôt que soi-même et c’est le sens de l’immolation du mari de Lale. Cette femme mûre refusera ensuite le visa qui lui permettrait de vivre avec son fils dans le monde libre ; elle qui reprochait à son mari de sacrifier sa famille à la politique choisit de retourner en Iran, se voile au passage de la frontière mais prend la place du père pour reprendre son combat. Elle a goûté pour un instant l’air de la liberté et voudrait qu’il souffle sur son pays. D’autres sortiront de l’entre-deux monde pour trouver le bonheur des familles enfin réunies, le vieil intellectuel sera finalement expulsé vers l’Iran et sera fusillé. Son ami le jeune Kurde arrivera en Allemagne, pays des « Mercedes », des jolies filles et aussi des bons fabricants de masques à gaz qu’il veut acheter par dizaines pour que les habitants de son village puissent se protéger des opérations de gazage – et rêver d’évasion devant les photos de réussite et bonheur qu’il leur envoie.

Au lieu de chercher à répondre à ce désir de liberté, une partie de l’Europe de l’Ouest s’est réfugiée dans la forteresse de Schengen. Sachons que les exilés du monde entier gardent le souvenir d’une France qui faisait ses choix quant à l’accueil des étrangers mais qui s’efforçait d’abriter les combattants de la liberté.

***

Pour un instant la Liberté. Ecrit et réalisé par Arash T. Riahi. Wega film et Les Films du Losange, www.pouruninstantlaliberté.com.

Article publié dans le numéro 940 de « Royaliste » – 2009.

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