Etre Français : l’ordre du mérite ?

Avr 29, 1987 | Res Publica

Succédant à la fidélité monarchique, et s’édifiant contre elle, le patriotisme républicain a progressivement perdu sa force sans être remplacé : quasi-disparition de la religion sacrificielle de la nation, crise du système d’éducation qui produisait les valeurs, les mythes et les références sur lesquels notre pays a vécu pendant près d’un siècle … Il n’y a plus de doctrine de la nation, et ses symboles ne sont plus unanimement acceptés ou sont devenus abstraits : le président de la République n’a qu’une légitimité contestée, la figure familière de l’armée se dissipe dans le système complexe de la défense et l’Etat, facteur décisif d’unité, est trop souvent perçu sous son seul angle policier et bureaucratique.

ILLUSION

D ‘où l’absence d’une idée claire de la France et d’un sentiment immédiat d’appartenance, que certains croient pouvoir compenser en définissant la nationalité contre l’autre, contre l ‘étranger. Solution facile mais illusoire : aucune expulsion d’immigrés, aucune loi restreignant l’accès à la nationalité ne nous permettraient de retrouver notre identité. Une nation ne peut se définir par la négative et le Front national lui-même en est conscient, qui a lancé une campagne fondée sur une affirmation : « être Français, ça se mérite ». Telle est d’ailleurs l’idée qui préside (ou présidait ?) à la réforme du code de la nationalité. Pour devenir Français, il faudrait donner des preuves tangibles de sa volonté et de sa qualité. L’idée est séduisante, mais elle demeure négative d’une double manière : d’abord parce qu’elle contredit notre tradition nationale, ce qui n’est pas son moindre paradoxe ; ensuite parce que la notion de mérite est en elle-même indéfinissable.

Un bref regard sur notre histoire montre que la nationalité n’a jamais supposé des qualités particulières, ni morales ni ethniques. La France est un mélange de peuples divers, qui jusqu’au siècle dernier ne parlaient pas nécessairement la même langue ni ne participaient d’une culture uniforme. Quand on a voulu nier cette diversité et expulser certains groupes pour des raisons religieuses ou politiques (les juifs, les protestants), il y a eu appauvrissement. Faut-il rappeler en outre que les Français ont vécu la majeure partie de leur histoire sans drapeau national, sans armée de conscription, sans carte d ‘identité, tout en ressentant fortement leur appartenance commune ? La recherche d’une « pureté » ethnique ou même d’une totale unité linguistique porterait atteinte à l’être de la France.

ARBITRAIRE

Le critère du mérite est quant à lui totalement arbitraire, et finalement introuvable. Le mérite, est-ce une dictée sans fautes ? On peut être analphabète et excellent Français. Est-ce la maîtrise de la langue parlée ? Nombre de Basques, de Bretons, de Corses, n ‘auraient pu, jusqu’à une date récente, avoir droit à la nationalité française. Qui dira, enfin, comment s’apprécie ce mérite ? L’Etat sans doute, mais il ne peut procéder qu’administrativement, par voie d ‘examens, ou demander un serment. Mais à qui et à quoi ? A un chef d’Etat contesté ? A une Constitution révisable ? Et sur quel texte sacré le serment serait-il prononcé ? Pour échapper à ces différentes formes d’arbitraire, il faut inverser les données. Nous ne pouvons pas choisir selon le mérite, c’est nous qui sommes choisis selon notre mérite, notre attrait. La nationalité procède du désir, et de 1 ‘habitude de vivre ensemble. Le reste est donné par surcroît.

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Article publié dans le numéro 470 de « Royaliste » – 29 avril 1987

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