Etats-Unis : Arrogante impuissance

Fév 19, 2001 | Chemins et distances

 

Impuissante, la superpuissance ? De fait, les Américains accumulent les échecs à l’intérieur comme à l’extérieur. Ce qui ne les rend pas moins dangereux. Au contraire…

Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, la cause semble entendue. Il n’y a plus qu’une superpuissance, à laquelle les milieux dirigeants européens se sont ralliés de manière plus ou moins explicite. Il ne s’agit plus de contester, ni de rechercher les nouveaux chemins de la liberté, mais de bâtir sa niche à l’intérieur d’un système hégémonique américain.

Ce calcul paraît réaliste : mieux vaut participer au banquet des maîtres du monde que de jeûner fièrement à l’extérieur du palais. On peut dire que le calcul est minable. Il faut surtout répéter qu’il est faux. On prend un sérieux un discours arrogant, on se soumet à une idéologie – car l’Amérique est d’abord une idéologie. Mais, en termes de rapports de forces – un langage que les Américains comprennent fort bien – la partie n’est pas perdue. Malheureusement, on a renoncé à la jouer.

En exposant les faiblesses de la « République impériale », Nicole Bernheim (1) devrait donner du courage à ceux qui n’osent plus, ou pas encore, entrer en résistance contre l’hégémonie américaine.

Nourrie d’une longue et solide expérience du pays, portée par une affection vraie pour le peuple américain, cette ancienne correspondante du Monde à New York montre la faiblesse de l’Etat fédéral devant les groupes de pression. Bill Clinton et sa femme n’ont pas pu faire aboutir leur projet de protection sociale généralisée, de même qu’ils ont échoué face aux marchands d’armes à feu. Ces échecs politiques font des dizaines de milliers de morts chaque année. Le taux de mortalité infantile est considérable :  7,2 pour mille naissances, dont 6 pour mille chez les blancs et 14,1 chez les noirs. L’usage intempestif d’armes à feu par les particuliers provoquent 40 000 décès par an, et le nombre des homicides, qui augmente en même temps que la paupérisation, est vint fois plus élevée aux Etats-Unis qu’en Allemagne. La longue période de prospérité économique et d’euphorie financière, célébrée sans aucune réserve par la grande presse parisienne, est à mettre en relation avec cet arrière-plan sinistre : celui d’un pays profondément inégalitaire, évidemment raciste, ouvertement violent puisque  le démocrate Clinton était partisan de la peine de mort, et que son successeur s’enorgueillit d’un terrible bilan : entre 1995 et 2000, cent cinquante exécutions au Texas.

Le bilan de la politique extérieure américaine n’est pas plus glorieux. Echec de la politique de la canonnière face à Saddam Hussein. Réduction drastique de l’aide au développement : moins 40{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} pour l’Afrique, moins 29{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} pour les anciens pays soviétiques. Indifférence à l’égard de l’ONU soulignée par l’ampleur de la dette américaine : plus d’un milliard de dollars.  Enfin, la fausse victoire remportée contre la République de Yougoslavie : au mépris du « politiquement correct », Nicole Bernheim dénonce la mécanique imbécile de cette sale guerre, expose l’entreprise de désinformation méthodique dont les opinions publiques ont été victimes, et conclut à l’échec politique de cette opération militaire, qui montre que les Américains ne reculeront devant rien : « la formidable arrogance du géant américain qui se croit assiégé se double d’une non moins formidable impuissance, ce qui le rend dangereux ».

Nicole Bernheim écrit avant l’interminable comédie de l’élection présidentielle, qui a détruit le trop fameux et très illusoire « modèle » institutionnel américain. Elle écrit avant les terrifiantes révélations sur l’utilisation de projectiles à uranium appauvri en Irak, en Bosnie et sur le territoire yougoslave. Son livre ne trouve pas seulement des confirmations dans l’actualité : il permet de comprendre les logiques mortifères qui travaillent la société américaine et les pulsions belliqueuses qui risquent de provoquer de nouvelles catastrophes.

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  • Nicole Bernheim, Où vont les Américains ?, La Découverte, 2000.

 

Article publié dans ke numéro 766 de « Royaliste » – 19 février 2001

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