Etat : de la raison dans l’histoire

Avr 3, 2000 | Res Publica

 

L’Etat met de la raison dans l’histoire passée, présente et à venir. Il est par conséquent toujours moderne et modernisateur – à moins qu’on en fasse un instrument de l’idéologie ou une machine étrangère au droit.

Puisque la République est une pédagogie, selon la juste maxime de Claude Nicolet, les citoyens, inscrits ou non à l’université, sont tous des étudiants. Progressant dans le savoir politique à mesure qu’ils prennent de l’âge, ils mesurent chaque jour l’étendue de leurs ignorances… Combien, parmi les rédacteurs de notre journal éminemment politique, ont lu Max Scheler et Guglielmo Ferrero ?

D’où la nécessité, hier banale, aujourd’hui contestée, de se donner de bons maîtres, guidant nos pas dans les bibliothèques et étudiant pour nous tout ce que nous l’aurons jamais le temps de connaître. Simone Goyard-Fabre est de ceux-ci. Professeur émérite de philosophie, elle a consacré sa vie à la philosophie politique moderne et les ouvrages qu’elle a consacrés à Montesquieu, à Locke, à Kant et surtout à Jean Bodin forment, avec bien d’autres lectures et réflexions savantes, la bonne et belle matière d’un manuel qui traite tout simplement de l’Etat (1).

Grâce à elle, nous sommes en mesure de faire en toutes occasions nos révisions civiques sur les structures étatiques, les formes institutionnelles, les principaux éléments de la philosophie politique. L’exposé des enjeux et des œuvres est limpide, si l’on fait l’effort d’une lecture attentive. Mais il serait dommage de considérer cet ouvrage comme un simple instrument de culture générale. Simone Goyard-Fabre est au cœur des questions cruciales lorsqu’elle fait le lien entre la théorie naissante de la souveraineté et l’esquisse de la citoyenneté, lorsqu’elle expose la relation entre l’Etat et le peuple légalement constitué en tant que tel, à partir de la multitude – ou lorsque, évoquant l’histoire de l’Etat, elle permet de comprendre comment il s’affirme dans le monde moderne et le structure partiellement en organisant les nations.

Nous voici au point capital : l’Etat est moderne dans son concept et dans sa réalisation historique, et modernisateur dans sa mise en œuvre de l’histoire. Le républicanisme kantien trouve son principe dans la fonction transcendantale de l’Etat. L’Etat selon Hegel, est la réalisation de la raison dans l’histoire, selon le droit – cet Etat rationnel et effectif trouvant sa plénitude dans la monarchie constitutionnelle.

Cette modernité de l’Etat est aujourd’hui radicalement récusée. A la suite des philosophes de la post-modernité, au vu des étatismes caricaturaux et des totalitarismes qui utilisent son efficace « appareil » contre ses principes et ses fins juridiques, on affirme que l’Etat est aujourd’hui dépassé et l’on promet un monde sans souveraineté.

L’Etat a connu bien des crises, et celle que nous vivons n’annonce pas la mort de l’Etat. Déjà, en appliquant les thèses de « l’Etat modeste » et de la gestion « pragmatique », les actuels dirigeants politiques nous font durement éprouver ce qui manque ou risque de manquer. L’Etat qui se retire ne favorise pas l’affranchissement des hommes, mais au contraire leur régression vers l’état de nature – celui de la guerre de tous contre tous où l’on perd sa liberté et parfois sa vie. Telle est la conséquence pratique de l’irrationalisme, malheureusement vérifiée par les tragédies du siècle, et de cette haine de l’Etat qui est toujours la haine de l’universel.

Contre le nihilisme ambiant, Simone Goyard-Fabre affirme la nécessité de faire valoir la modernité de l’Etat, capable de se réformer selon la raison critique que le porte à être « cette structure fondamentale de la coexistence humaine qui est susceptible d’en devenir la forme universelle ». Magnifique perspective.

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(1) Simone Goyard-Fabre, L’Etat, figure moderne de la politique, Cursus, Armand Colin, 1999.

 

Article publié dans le numéro 747 de « Royaliste » – 3 avril 2000

 

 

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