Encore un instant, Monsieur le bourreau

Mar 11, 2019 | Union européenne

 

Des élections approchent. C’est l’heure du volontarisme ! Comme il s’agit d’élections « européennes », le volontarisme se fait « européen ». A l’exemple de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron ne ménage pas ses effets.

Au salon de l’Agriculture, il annonçait une révision de la Politique agricole commune. Dans sa « Lettre aux citoyens européens » publiée le 5 mars, il étale un gros attirail : une Agence européenne de protection des démocraties, une remise à plat de l’Espace Schengen et un Conseil européen de sécurité intérieure, une Banque européenne du climat et un Conseil de sécurité européen, un bouclier social et un salaire minimum européen, adapté à chaque pays – donc pas européen !  Bref, tout un fatras d’agences, de conseils, de comités et de procédures qui viendraient se surajouter aux tuyaux et machineries de l’usine à gaz appelée « Union européenne ».

Il est inutile de se perdre en commentaires ou imprécations. La missive a été accueillie avec une totale indifférence par les citoyens comme par les chancelleries qui en ont vu d’autres. A propos, où sont passées les propositions sur la « souveraineté européenne » et la réforme de la zone euro ? Ressortiront-elles à un détour de la campagne ? Sont-elles jetées aux oubliettes ? Peu importe puisqu’elles étaient absurdes et seraient inopérantes. Somme toute, en signant cette « Lettre » européiste entrelardée de thèmes protectionnistes, Emmanuel Macron a confirmé ce que tout le monde savait déjà : violant la lettre et l’esprit de la Constitution, le supposé président a pris la tête de la liste LREM pour les élections de mai, et amorcé tambour battant sa campagne en faisant mine d’animer un grand débat national.

On pourrait saluer ironiquement l’artiste et ses « performances » si le char de la macronie naviguait, si j’ose dire, par beau temps. Un coup d’œil dans la rue montre que ce n’est pas le cas. La révolte qui a éclaté en novembre en cache d’autres, latentes. Mais une violente répression policière et judiciaire semble avoir repoussé l’heure des grandes échéances et la classe dirigeante vaque à ses occupations. Sa ligne de conduite est dans la ligne du volontarisme sarkozien : puisque les événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. Quels événements ? Oh ! un peu de tout. Les décisions géostratégiques de Donald Trump, le ralentissement de l’activité en Chine et ses effets sur divers pays de l’Union européenne, la décision prise par la Banque centrale européenne de refinancer massivement les banques, le rachat d’entreprises françaises et de terres agricoles par des étrangers, le taux de change de l’euro, la hausse ou la baisse des taux d’intérêt, l’agonie de l’Union européenne…

Quand des piliers de l’oligarchie, tels Jean Quatremer et Jacques Attali, disent et écrivent que ça ne va pas durer, que l’euro est fichu, que le monde est sous la menace d’une épouvantable crise financière, la « gouvernance » oligarchique reprend la célèbre supplication : Encore un instant, Monsieur le bourreau ! Dans cette ambiance de fin de quinquennat, profitons du confort intellectuel et matériel, de la servilité des entourages, de la douce chaleur des projecteurs, de l’agrément des voyages officiels ! Jouissons sans entraves des plaisirs offerts à profusion mais continuons à disserter gravement sur l’Europe qui est la paix, sur l’euro qui nous protège de la crise, sur les bienfaits de la concurrence, sur la marche du progrès ! Nous savons que nous ne vendons plus de rêves mais nous essayons d’acheter du temps. Du temps pour les petits bonheurs quotidiens. Et du temps pour les réformes que demandent Bruxelles et Berlin. Ces réformes mineront l’Etat et détruiront le système de protection sociale mais tant pis ou tant mieux : s’il y a une vérité en ce monde mondialisé, c’est celle qui surgit des marchés financiers !

Puisqu’il faut bien donner l’impression d’agir, la classe dirigeante continuera à faire ce qu’elle sait faire : privatiser, libéraliser, et faire semblant d’européiser. Longtemps, elle a cru qu’elle pourrait exercer le pouvoir sans rien décider – car tel est bien le secret de Polichinelle de la « gouvernance ». Longtemps, elle a cru qu’elle pourrait berner et mater ceux qu’elle appelle « les gens ». Elle sait depuis décembre que c’est fichu.

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Editorial du numéro 1163 de « Royaliste » – mars 2019

 

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