L’écologie (politique) va mal. Mis à part l’épisode à moitié avorté du Grenelle de l’Environnement, ce que l’on nous propose (en France et ailleurs) ressemble plus à une liste de commissions qu’à une vraie politique écologique : pour/contre le nucléaire, pour/contre la taxe carbone, la transition énergétique, les OGM, le gaz de schiste, etc. Pourtant des analyses sérieuses sont faites et des propositions intelligentes existent ; mais comme dans nombre de domaines de la politique actuelle, ce travail de réflexion n’atteint pas la sphère du pouvoir et il semble bien que les principaux partis en France (écologistes compris) aient décidé de faire l’économie d’une véritable réflexion intégrée sur l’écologie politique.

Pourtant les travaux du GIEC montrent depuis plusieurs années déjà les dégâts que l’économie ultralibérale provoque sur l’ensemble de la planète. Ils font conclure  sans équivoque à l’urgence de la mise en œuvre d’une écologie politique transversale à toutes les politiques de gestion et de développement de nos sociétés (énergie, transport, alimentation, développement industriel, économie, consommation, politique de la ville, du logement, de l’éducation etc.). C’est grâce à elle que les effets induits de toutes les décisions prises peuvent être évalués, et des choix faits en toute connaissance de cause, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Car rappelons-le : il n’est plus de décision politique qui n’ait des incidences sur l’environnement. Il faut alors avoir une grille d’analyse précise et une vision claire des questions qui se posent, ainsi que du comment et du pourquoi des réponses à donner. Nous en sommes bien loin en ce moment.

LES CONDITIONS D’UNE ÉCOLOGIE POLITIQUE

A nous donc de réfléchir de notre côté à une véritable écologie politique : autrement dit à un canevas fondamental qui permette d’analyser les causes, d’évaluer les effets et de fournir des réponses aux problèmes posés par l’impact des activités humaines sur l’environnement. Il n’est pas question de sacraliser l’écosystème et de placer l’écologie sur un autel ; la seule préoccupation de l’homme doit concerner sa survie et son épanouissement. Or ceci passe en tout premier lieu par le maintien durable  d’un milieu dans le quel il puisse se développer de façon harmonieuse. Le « Développement durable » a été défini et adopté comme priorité par les nations et les instances internationales lors du Sommet de Johannesburg en 2002. Malheureusement cette belle idée a été dévoyée sous la pression des instances économiques et politiques mondiales (FMI, OMC, Commission Européenne, etc.) par l’assimilation du concept de « développement » à celui de « croissance industrielle ». De là toutes les difficultés de politiques qui ont tenté en vain l’intégration et la mise en compatibilité de deux besoins contradictoires : poursuivre le développement, autrement dit la croissance de l’économie planétaire dans son acception ultralibérale, tout en maintenant sa durabilité, donc le respect (pour ne pas dire la protection) de l’environnement.  L’échec du sommet de Johannesburg à trouver une voie pour le Développement Durable et des solutions écologiquement compatibles avec un modèle économique qu’il n’était pas question de remettre en cause fut suivi par ceux, de plus en plus retentissants, des sommets qui l’ont suivi : plus le temps passe, plus l’exploitation des ressources naturelles devient difficile et coûteuse, plus l’économie ultralibérale s’obstine dans ses choix dévastateurs, plus l’écosystème se dégrade, plus l’incompatibilité devient visible, et plus la panique augmente.

L’expérience montre donc de façon répétée que si l’on exige la poursuite d’une « croissance » telle que définie par les instances économiques mondiales, on ne peut maintenir la durabilité de l’écosystème mondial. Les efforts de Johannesburg, et pour la France du Grenelle de l’Environnement, ont au moins montré une chose : le développement durable, s’il veut dire « poursuivons le modèle de croissance infinie en exploitant durablement un milieu fini  », est un leurre[1]. Le système libéral actuel, pour se justifier, pose en effet en principe fondamental que l’environnement est infini et les capacités de restauration naturelle du milieu permanentes et illimitées : la corne d’abondance ne sera jamais vide et la poubelle ne sera jamais pleine. Comme ces deux caractéristiques sont aussi irréalistes l’une que l’autre, une telle politique aboutit nécessairement à une destruction systématique du milieu, et donc à terme de l’humanité, puisqu’elle ne peut pas vivre hors de cet environnement précis.

Voilà l’état des lieux. Mais avant de proposer une écologie politique, il faut garder en mémoire quelques notions de base, que l’on a souvent tendance à oublier.

La première, c’est la priorité à donner à l’homme. Nous ne pouvons que reprendre le premier article de la déclaration de la Conférence des Nations-Unies de Stockholm en 1972 :

«  L’homme est à la fois créature et créateur de son environnement, qui assure sa subsistance physique et lui offre la possibilité d’un développement intellectuel, moral, social et spirituel. Dans la longue et laborieuse évolution de la race humaine sur la terre, le moment est venu où, grâce aux progrès toujours plus rapides de la science et de la technique, l’homme a acquis le pouvoir de transformer son environnement d’innombrables manières et à une échelle sans précédent. Les deux éléments de son environnement, l’élément naturel et celui qu’il a lui-même créé, sont indispensables à son bien-être et à la pleine jouissance de ses droits fondamentaux, y compris le droit à la vie même ».

Il est intéressant de noter à ce propos que la Conférence de Stockholm est la première (et pratiquement la seule) à avoir réfléchi sur le fond et fourni un canevas « philosophiquement contraignant » : les autres conférences présenteront simplement des « états d’avancement ». Voici en comparaison l’essentiel de la déclaration commune des chefs d’Etat lors de la Conférence de Johannesburg (2002), qui montre bien que, trente ans après, les référence au texte fondamental de Stockholm sont devenues des pétitions de principe sans signification ni conséquences :

« Les chefs d’Etat et de gouvernement reconnaissent leur responsabilité commune de faire progresser et de renforcer aux niveaux local, national, régional et mondial, la protection de l’environnement, le développement social et le développement économique qui sont les trois piliers indissociables du développement durable. Ils reconnaissent que l’élimination de la pauvreté, la modification des modes non durables de production et de consommation ainsi que la protection et la gestion des ressources naturelles sont des objectifs primordiaux du développement durable et ses conditions préalables.  Ils se disent heureux que le Sommet de Johannesburg se soit concentré sur l’indivisibilité de la dignité humaine (…). Les chefs d’Etat et de gouvernement reconnaissent que le développement durable suppose une perspective à long terme et une participation large pour la formulation des politiques, et la prise et l’exécution des décisions à tous les niveaux ».

On voit qu’à part une vague mention sur l’indivisibilité de la dignité humaine dont on ne comprend pas bien ce qu’elle veut dire, il n’est plus question de faire référence au « droit à la vie »

La première des règles à respecter dans une réflexion sur une écologie politique est donc exprimée très explicitement dans la déclaration de Stockholm (1972) et doit être à la base de toute écologie politique : la priorité absolue est le droit à la vie de l’humanité dans son ensemble. Elle ajoute que les deux éléments de l’environnement, sa partie naturelle et sa partie transformée par l’homme, sont également indispensable.

La seconde cause, c’est le poids et l’importance de l’humanité sur la planète. Elle découle directement de la précédente et c’est elle qui est d’ailleurs à l’origine des problèmes actuels. N’oublions pas que nous sommes en ce moment plus de sept milliards d’individus, que nous serons bientôt 9 ou 10, et que permettre à un individu quel qu’il soit de vivre  dans des conditions décentes est une priorité pour toute l’espèce humaine. On comprend immédiatement toute les difficultés auxquelles une écologie politique, même strictement nationale, doit faire face si elle veut respecter cette priorité. Ces dimensions de l’humanité actuelle, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, présentent des contraintes très fortes. Quelques-unes parmi les plus importantes :

L’alimentation pour commencer : il est évident que les besoins  alimentaires de l’homme vont à l’heure actuelle au-delà de ce que l’agriculture et l’élevage « écologiques » peuvent produire. Par exemple, avec une consommation en protéines animales (tout compris : poisson, bétail, volaille) d’environ 100 g par jour et par habitant, 8 milliards d’humains requièrent une production de près de 300 millions de tonnes par an : on voit les défis que cela pose dans tous les domaines, et que l’on s’éloigne de la capacité de la planète à fournir « biologiquement » de telles quantités : l’agriculture, l’aquaculture et l’élevage industriels deviennent indispensables.

L’énergie. C’est évidemment un des dossiers les plus sensibles, puisque c’est elle qui est la cause de la pollution directe la plus visible et la plus dangereuse, mais aussi de la plus grande partie de la pollution indirecte (production de déchets, émission de carbone et destruction du milieu, effets socio-économiques liés aux délocalisations rendues possibles par les faibles coûts des transports, etc.). Le transfert vers des sources sûres et propres de production d’énergie, mais aussi et surtout vers sa consommation contrôlée, est une priorité absolue : le gaspillage devient criminel.

L’eau. N’insistons pas sur cette contrainte, bien connue de nos jours : nous nous trouvons devant une pénurie d’eau de plus en plus dramatique pour les simples besoins vitaux de l’homme. Ici aussi, des solutions industrielles vont devoir se développer (elles le sont déjà en grande partie) comme le recyclage des eaux usées, la désalinisation de l’eau de mer, l’exploitation des ressources non renouvelables en eau (eaux fossiles), etc. Mais il faut aussi développer des politiques de gestion commune des ressources entre pays, entre régions, entre usagers.

L’océan et les zones littorales. Ce sont ces dernières qui subissent les pressions les plus fortes en termes d’aménagement des territoires, or elles sont fragiles et indispensables au fonctionnement de l’écosystème marin. Si elles présentent un intérêt économique fort (en particulier pour les échanges internationaux), elles sont aussi les plus exposées aux risques liés au changement climatique (sans parler du risque sismique comme Fukushima l’a bien montré). Quant au milieu marin, lui aussi doit être géré en commun, même au-delà des zones économiques exclusives ; par-dessus tout il doit cesser d’être utilisé comme une poubelle sans limites. L’acidification des océans est une bombe à retardement dont le compte à rebours est déclenché.

L’urbanisation, qui représente une évolution irrépressible : il y a déjà plus d’urbains que de campagnards dans le monde, et les mégalopoles n’en finissent pas de s’étendre, avec toutes les contraintes que cela impose en terme de bouleversement climatique, d’approvisionnement, de destruction des écosystèmes périurbains, etc. Pour donner un exemple, la ville de Mexico, probablement la plus grande du monde, continue à croître de près de 400 000 habitants par an : à peu près l’équivalent d’une ville comme Toulouse s’ajoute à Mexico chaque année[2].

 

Inutile de poursuivre cette liste : nous voyons bien que si l’on veut définir une vraie écologie politique qui ne soit pas une gestion sympathique des espaces verts, il faut prendre en compte toutes ces contraintes. L’écologie bucolique à la Marie-Antoinette ne peut plus grand-chose pour la planète.

La troisième est le maintien d’un écosystème viable. Ceci présente deux conditions. D’une part il faut que les caractéristiques générales de l’environnement restent dans des limites précises : température, hygrométrie, insolation, caractéristiques de l’atmosphère, de la biosphère et de l’océan, etc. hors desquelles toute vie sera impossible ; l’homme est un mammifère du Quaternaire et en tant que tel il ne pourrait survivre dans des conditions environnementales très différentes de celles qui caractérisent notre époque géologique. D’autre part il faut adapter cet environnement (dans ses limites vitales) aux conditions de vie de l’homme : cela veut dire qu’il est de son devoir de transformer ce qui dans l’écosystème ne lui est pas favorable (par exemple, les prédateurs, les maladies, les compétiteurs etc.), d’éliminer ses déchets, de favoriser les espèces végétales et animales « utiles » (élevage, agriculture), bref de le rendre le plus « humanisé » possible sans pour autant le détruire. On voit bien qu’il n’est pas ici question de ne toucher à rien : toutes les espèces animales ont comme règles vitales de s’adapter à leur environnement mais aussi d’adapter ce dernier à leurs besoins. Chaque espèce émet des déchets dans le milieu, et il est indispensable de les éliminer, faute de quoi elles ne peuvent survivre dans leurs propres déjections. Inutile d’insister, les exemples sont innombrables. Il y a donc une exigence forte  pour toutes les espèces d’une véritable coévolution avec le milieu indispensable à leur survie. Ceci impose chez les espèces « naturelles » une coévolution lente, dans laquelle tant le milieu que l’espèce évoluent parallèlement en symbiose.

Or l’homme présente une particularité unique : seul dans la biosphère il possède les moyens d’accélérer les choses, et donc de prendre de vitesse l’évolution naturelle du milieu. Nous y sommes en plein, et le changement climatique en est l’expression la plus évidente : l’écosystème n’a plus la capacité de recycler dans le milieu les produits de combustion émis par l’homme ; la technique permet des évolutions à des vitesses qui n’ont plus d’équivalent naturel, et donc l’on passe de l’autoépuration à l’accumulation de produits toxiques dans la nature. On le voit par exemple dans l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère, ou plus inquiétant encore, dans l’acidification des océans. L’homme ne peut donc plus entièrement se défausser sur la nature des effets de ses activités, et puisqu’il pollue avec une vitesse qui dépasse les capacités naturelles de recyclage, il se trouve devant une alternative : réduire ses émissions toxiques dans la nature ou accélérer artificiellement leur épuration.

Outre ces trois contraintes, un autre point est à prendre en compte, et il l’est trop rarement : c’est qu’un écosystème est un SYSTÈME. Autrement dit un ensemble d’interactions qui l’organisent autour d’un flux énergétique. Sa complexité présente deux effets : d’une part une certaine stabilité, puisque le défaut d’un élément du système est compensé par le bon fonctionnement des autres jusqu’à une certaine limite ; mais aussi l’extrême difficulté qu’il y a à évaluer les effets d’une action  « artificielle » sur l’ensemble de l’écosystème : souvent sans effet grâce aux boucles de rétroaction négative[3] innombrables qu’il contient, elle peut aussi déclencher une rétroaction positive et emballer tout le système. Les connaissances sur le fonctionnement de l’écosystème sont encore trop fragmentaires pour pouvoir définir, dans nombre de cas, quel sera l’effet d’une intervention sur le milieu. Dans l’idéal, toute intervention humaine sur le milieu devrait se faire après en avoir étudié soigneusement l’impact. C’est souvent impossible, car il peut se trouver que l’on doive agir dans l’urgence et avant d’avoir en main tous les éléments de décision. C’est là tout le risque de l’ingénierie écologique, qu’il faut manipuler avec la plus extrême prudence, tout en sachant qu’elle peut se révéler indispensable dans certains cas. A partir de ces observations et avant même de définir une écologie politique, nous pouvons poser comme base deux principes : le principe de précaution, qui impose de ne pas appliquer une modification au milieu si l’on soupçonne un risque d’effets négatifs supérieurs aux bienfaits de cette modification ; le second est le principe de subsidiarité : évitons au maximum toute intervention de l’ingénierie écologique là où les méthodes naturelles peuvent être aussi efficaces. Ceci, par exemple, devrait être mis en œuvre chaque fois que l’utilisation d’un OGM est envisagée : ne peut-on faire aussi bien avec des éléments naturels ?

On peut alors se poser la question : pourquoi est-il si difficile de comprendre ces points simples et d’en tenir compte dans une vraie politique écologique ? La réponse probable tient en un mot : ultralibéralisme. En effet le principe de cette doctrine est de « libérer » l’économie du reste des activités humaines pour mettre l’accent uniquement sur les gains financiers, laissant un « marché » virtuel faire le ménage sans qu’aucune intervention de la société soit tolérée. Ceci interdit toute régulation, en particulier tout aménagement lié à la protection de l’écosystème : il ne s’agit plus que de « faire de l’argent » sans se soucier des conséquences. Ce n’est donc pas un problème d’aménagement ou d’équilibre ; c’est une question de fond. Il existe en effet une différence fondamentale du point de vue de l’écologie entre l’ultralibéralisme et l’économie conventionnelle. Cette dernière a pour souci d’aménager l’activité humaine dans ses échanges marchands entre les différents acteurs, donc d’incorporer le milieu dans ses modèles et de prendre en compte les implications des échanges sur l’environnement. L’économie ultralibérale, immatérielle par définition, ne prend plus ces implications en compte. Elle s’est complètement détachée de l’écosystème. Evidemment, tant que  cette doctrine continuera à dominer la politique mondiale, il sera impossible d’appliquer des régulations écologiques dans la gestion de l’environnement.

 

LES VOIES POSSIBLES

Nous voici devant une série de nécessités et de contraintes, auxquelles il faut impérativement obéir ou qu’il faut prendre en compte. Si l’on revient à sa définition d’origine, le concept de « développement durable » vient bien de l’observation que l’environnement et l’économie sont indissociables et indispensables au maintien d’une société humaine viable ;  la destruction de l’un implique la fin  de l’autre. C’est sur la base de ce cahier des charges que l’on peut construire une écologie politique.

Il faut donc trouver une solution. Trouver n’est d’ailleurs pas le mot, car nombre de réflexions et de propositions existent déjà depuis quelques décennies, qui proposent des alternatives plus ou moins viables. Eliminons d’emblée toutes les propositions « symétriques » qui réclament soit le maintien de la croissance sans se préoccuper de l’environnement, soit la protection de l’environnement sans se soucier du devenir de l’humanité : maintenir la permanence de l’écosystème au détriment de l’économie aboutirait pour l’humanité au même résultat que la défense à tous crins de la croissance ; dans l’un et l’autre cas nous allons dans le mur.

L’écologie industrielle et l’économie circulaire

Parmi ces nombreuses réflexions l’une d’entre elles paraît prometteuse. Il s’agit des conceptions, des méthodes et des instruments de l’écologie industrielle. Cette réflexion a démarré dans les années 80 et Suren Erkman[4] la définit de la façon suivante : « L’écologie industrielle fait appel en priorité à l’écologie scientifique, aux sciences naturelles et aux sciences de l’ingénieur : Elle s’intéresse à l’évolution du système industriel dans sa globalité et à long terme.»

Selon cet auteur, la construction d’un écosystème industriel « se fonde sur trois éléments principaux :

Il doit s’agit d’une « vision globale, intégrée, de tous les composants du système industriel et de leurs relations avec la Biosphère ;

La totalité des flux et des stocks de matière et d’énergie liées aux activités humaines constituent le domaine d’approche de l’écologie industrielle ;

La dynamique technologique (…) constitue un facteur crucial (mais pas exclusif) pour favoriser la transition du système actuel vers un système viable, inspiré par le fonctionnement des écosystèmes biologiques ».

 

L’idée fondamentale de l’écologie industrielle est d’imiter l’écologie « naturelle »[5]. La grande différence entre un système industriel et un écosystème réside dans la longueur de cheminement des flux (énergétiques, matériels, mécaniques) qui les caractérisent. Un système industriel consiste à extraire une matière première, la transformer par utilisation d’une source d’énergie et aboutir à un produit fini qui est distribué. Chaîne extrêmement courte qui de surcroît présente un nombre important de « fuites » (énergie, sous-produits de la transformation, résidus de l’activité, déchets divers incluant le produit fini une fois utilisé) qui n’entrent pas en ligne de compte car rien n’est réutilisé dans ce système ; alors que l’écosystème représente non pas une chaîne mais un réseau de chaînes entrelacées qui rend d’une part le « flux entropique » (passage du niveau supérieur au niveau inférieur d’énergie dans le système) beaucoup plus long et optimisé, où chaque « fuite » est utilisée par un sous-système spécifique ; et d’autre part permet l’utilisation et la transformation de tous les déchets tout au long du réseau, pour les réintroduire au niveau initial des circuits.

Imiter l’écosystème revient donc à « circulariser » les flux : dans l’idéal, seule l’énergie (et encore, le moins possible) se perd au long de la chaîne, mais aucune matière première, même transformée en déchet, n’est perdue : tout est réutilisé. Allez, un peu de biochimie pour les nuls ou : comment fonctionnent les écosystèmes naturels. Pour simplifier à l’extrême, les circuits et cycles de la biochimie peuvent se représenter comme suit : l’énergie solaire est utilisée par le biais de la photosynthèse chlorophyllienne pour fabriquer un sucre, molécule riche en énergie (par exemple le glucose C6H12O6) à partir de molécules pauvres en énergie (l’eau  H2O et le gaz carbonique CO2). En « introduisant » l’énergie solaire dans le circuit, la photosynthèse « casse » les molécules de CO2 et H2O en leurs atomes de carbone, oxygène et hydrogène, et la molécule de glucose se forme par l’utilisation de ces éléments. Par ailleurs la fabrication d’une molécule de glucose s’accompagne de la libération de six molécules d’oxygène (O2). Le glucose sert alors de transporteur/fournisseur d’énergie dans tous les cycles biochimiques, et une fois cette énergie transmise par oxydation (en réutilisant l’oxygène libéré par la synthèse du glucose), il s’est dégradé pour donner de nouveau de l’eau et du CO2. Lesquels sont réutilisés par la chlorophylle et le cycle peut reprendre. Dans les faits : la feuille de pomme de terre fabrique de l’amidon (un autre sucre) par photosynthèse à partir du CO2 et de l’eau en rejetant de l’oxygène dans l’atmosphère. Ce sucre est emmagasiné dans les tubercules. L’homme mange la pomme de terre et utilise alors l’amidon. Il en extrait l’énergie en le « brulant » dans ses organes avec l’oxygène qu’il respire, et via la même respiration rejette dans l’atmosphère l’eau et le CO2 produits par cette combustion, qui sont alors recyclés par la feuille de pomme de terre. En principe rien n’est perdu, sauf évidemment l’énergie solaire d’origine qui a pu ainsi être transformée en matière, en chaleur ou en mouvement. Sur cette base cyclique s’est construite par analogie la proposition d’une « écologie industrielle circulaire », où la réutilisation en cycle fonde le projet industriel. L’écologie industrielle aboutit donc logiquement à concevoir des alternatives fonctionnelles aux systèmes économiques actuels, à partir des réflexions suivante :

« Depuis deux siècles, le système industriel ne cesse de se perfectionner dans le but d’optimiser la production : toujours plus de matériaux, toujours plus d’objets, toujours plus de produits. Aujourd’hui, le moment semble venu de perfectionner le système industriel, non plus principalement pour la production et la vente d’objets neufs, mais pour la fourniture de prestations de qualité, c’est-à-dire pour une véritable société des services où l’utilisation optimale des ressources et des biens serait génératrice de richesses. L’écologie industrielle se doit de prendre en compte ce renversement de perspective, sinon elle risque de rester prisonnière du paradigme productiviste traditionnel.

On peut énoncer la thèse fondamentale de la société d’utilisation de la manière suivante : il est possible de dissocier l’augmentation de la richesse et l’accroissement de la production. Pour réaliser cet objectif, la stratégie de base consiste à optimiser l’utilisation à long terme des biens, au lieu de maximiser la production et la vente de produits à courte durée de vie.

Le système économique  actuel repose sur un dogme productiviste, partagé par la gauche comme par la droite : la richesse dépend directement de l’augmentation de la production. Tout le système industriel est organisé pour accroître la productivité.

Dans la conception productiviste du système économique, la notion centrale est celle de valeur d’échange. Il s’agit désormais de donner la primauté à une autre notion : la valeur d’utilisation. Au lieu de vendre des produits, il faut vendre des services » (S. Erkman, op. cit.).

Ce changement de modèle n’est pas neutre, il impose des bouleversements profonds dans le fonctionnement économique, agricole et industriel de notre monde. De tels bouleversements n’ont aucune chance de se produire spontanément, mais surtout ils doivent pouvoir se dérouler sans bloquer ou détruire la société, auquel cas le remède serait pire que le mal : il faut une évolution, pas une révolution. C’est à partir de ces remarques et de ces concepts qu’a émergé l’idée de « l’économie circulaire » lors du Grenelle de l’Environnement :

L’économie circulaire est une expression générique désignant un concept économique qui s’inscrit dans le cadre du développement durable et s’inspirant notamment des notions d’économie verte, d’économie de l’usage ou de l’économie de la fonctionnalité, de l’économie de la performance et de l’écologie industrielle (laquelle veut que le déchet d’une industrie soit recyclé en matière première d’une autre industrie ou de la même). Son objectif est de produire des biens et service tout en limitant fortement la consommation et le gaspillage des matières premières, et des sources d’énergies non renouvelables (Wikipedia).

Créé en février 2013 sous l’impulsion de Michel Lambert (EELV) avec le soutien de Chantal Jouanno (UDI), l’Institut de l’Économie Circulaire[6] pose tout de suite la question : comment changer de modèle ? Voici, reproduits ci-dessous, les éléments essentiels que propose cet Institut.

LES PRECONISATIONS DE L’INSTITUT DE L’ECONOMIE CIRCULAIRE

Si une évolution vers l’économie circulaire est déjà amorcée, il ne semble pas pour autant possible de généraliser ce nouveau modèle sans mettre en place des politiques volontaires. Les entreprises et les consommateurs peuvent modifier spontanément leur façon de faire, mais ils ne feront pas la totalité du chemin sans incitation et intervention publique.
Ces enjeux sont aujourd’hui partagés au niveau européen : la Commission européenne, dans le cadre de sa feuille de route sur l’utilisation efficace des ressources, a inscrit dans ses axes de travail prioritaires le développement d’une économie circulaire.

  Vers une loi-cadre « économie circulaire ».

La conférence environnementale devra acter le choix de la France de passer du système linéaire actuel à une économie plus circulaire avec comme objectif prioritaire l’élaboration d’une loi-cadre dans une approche interministérielle et européenne fixant cap et objectifs à moyen et long terme. La rédaction de ce texte devra nécessairement s’appuyer sur une réflexion collective et participative, impliquant l’ensemble des acteurs concernés, à travers des états généraux de l’économie circulaire qui pourraient être lancés à l’issue de la conférence environnementale.

 

Comment changer de modèle ?

Nous avons fourni la liste des points à prendre en compte dans toute conception d’une écologie politique : surpopulation et ses conséquences, priorité à la vie humaine, maintien des conditions de l’écosystème, besoin absolu d’en finir avec les conceptions d’une croissance infinie et d’une capacité infinie du milieu à épurer l’environnement, etc. Les concepts de l’économie circulaire prennent en compte une bonne partie de ces points. Reste  à mettre en œuvre une transition d’un modèle vers l’autre. Nous pouvons nous appuyer sur les travaux et les analyses qui ont été présentés dans Royaliste nº 968 par Jacques Weber (à l’époque Directeur de l’Institut de la Biodiversité), qui proposent le passage en douceur d’un modèle à l’autre par le biais de transferts de taxes.

Jacques Weber, lorsqu’il était directeur de l’Institut de la Biodiversité avait réfléchi à ce sujet dans le cadre de la Commission du Conseil d’Analyse Stratégiques dirigée par B. Chevassus-au-Louis, pour donner des recommandations au gouvernement à l’époque. Leur proposition d’une taxe sur les services écologiques a fait couler beaucoup d’encre, et par exemple dans leur livre « La Nature n’a pas de prix[7] », les chercheurs d’ATTAC s’y opposent violemment, en arguant que (1) on ne peut mettre de prix sur une fonction quelle qu’elle soit de la nature, et que (2) cette volonté de « marchandiser » la nature aboutit de facto à privatiser la nature au profit de l’économie financière mondiale. Il faut reconnaître que c’est ce qui s’est passé avec la taxe carbone. Le livre signale par exemple : « Selon ce nouvel imaginaire, la nature n’est plus seulement un stock de ressources à la disposition des humains, mais une merveilleuse entreprise capable de produire gratuitement et de manière infinie des services écosystémiques : ‘l’économie verte reconnaît la valeur du capital naturel et l’intérêt d’y investir’ (…) Cette économie, ce capitalisme vert, est déjà à l’œuvre. Agrocarburants, marchés du carbone, brevets sur le vivant, libéralisation du commerce des biens et services environnementaux, accaparement des communs naturels, financiarisation des ressources naturelles dessinent depuis une trentaine d’années une nouvelle phase du capitalisme ». Etc., c’est là le discours récurrent d’ATTAC, et il faut bien reconnaître qu’ils n’ont pas tort, s’ils prennent comme hypothèse que l’on a donné un prix aux divers éléments de la nature (ressources et services).

Or ce n’est pas ce que dit la Commission d’Analyse Stratégique. Elle fait la différence fondamentale entre le prix et le coût. Citations du livre de Barbault et Weber[8] à propos des recommandations de la Commission Chevassus[9] :

« La Commission a préconisé de renoncer à donner des valeurs, mais de ‘Concevoir des méthodes de calcul des coûts de maintenance ou de restauration de la disponibilité des services écologiques’. Chaque mot compte dans cette recommandation.  La démarche de la Commission Chevassus est profondément originale. Au plan scientifique, elle fait considérablement progresser la réflexion sur la prise en compte de la biodiversité et des services écologiques dans les évaluations de projets. Elle incite en outre à développer des méthodes de calcul de coûts, au lieu de donner des prix ».

Ceci est très différent de l’idée qui sous-tend la politique d’affecter un « prix » au service écologique, service qui peut alors donner lieu par exemple à des échanges. En effet, puisque le « prix » est comparatif il permet d’échanger des carottes contre des heures de baby-sitting, ce qui est à la base de toute la vie économique normale ; mais aussi hélas de consentir à la dégradation d’un service écologique en échange d’une augmentation (provisoire) de la productivité industrielle (ce qui est le cœur du problème).

On voit que  la critique (en partie fondée) d’ATTAC concerne le prix, pas le coût. Mais cette différence est souvent omise ou pas comprise.  Poursuivons la lecture du livre de Barbault et Weber sur ce point :

« Pour le non-spécialiste, quelle différence entre un prix et un coût ? Le prix est le résultat de l’égalisation d’un consentement à payer et d’un consentement à recevoir, à un moment donné. Un coût ne résulte pas d’un agrément dans l’instant, mais d’un calcul lié au fonctionnement de l’écosystème : il n’est pas contingent. Une autre façon de le dire serait la suivante : le prix est une observation, le coût renvoie à des processus ».

Pour donner un exemple : on parle souvent du service écologique rendu par les abeilles, qui pollinisent les plantes « gratuitement ». Le prix de ce service écologique se mesure à la valeur de la production qu’il permet ; on pourrait donc grossièrement le calculer comme la somme des produits agricoles dans lesquels l’intervention des abeilles est indispensable, tant directs (les fruits et autres graines) qu’indirects (production végétale fourragère utilisée par le bétail, production forestière, etc.). A partir de là, tout est permis en matière de spéculation : la baisse du prix des pommes fait immédiatement baisser le prix du service écologique rendu par les abeilles. Il pourrait même le rendre inutile si l’on ne consommait plus de pommes ; ou être échangé contre autre chose : si l’extraction du nickel rapporte plus que les pommes en Nouvelle Calédonie, l’abandon de toute pollinisation ne pourra qu’améliorer le bilan financier de la région. Le coût, pour sa part, consiste à évaluer ce que couterait de faire soi-même ce que font les abeilles : temps de travail pour la pollinisation par l’homme de toutes les plantes pour lesquelles cette pollinisation est indispensable, sans qu’entre en ligne de compte la production agricole. Le prix des pommes n’a plus rien à y voir car il n’est plus question là d’évaluer une production, une « observation », mais une activité, ou un processus. Poursuivons la lecture.

« Beaucoup d’économistes [qui réfutent la proposition Chevassus] non seulement acceptent de mettre en prix la nature, mais en outre ne se choquent pas de transférer ces « prix » d’un contexte social et spatio-temporel à un autre.(…) Non seulement il s’agit de faire des opinions monétairement exprimées la base de choix de conservation ou de gestion des écosystèmes, mais en plus de considérer que ces opinions des uns en un lieu peuvent être tenues pour être celles d’autres en d’autres lieux et d’autres temps. (…) Si le problème de notre XXIème siècle, dans la continuité de ce qu’ont imprimé la révolution industrielle puis la société de consommation, c’est bien la confusion entre prix et valeurs, c’est-à-dire la perte des valeurs, le résoudra-t-on vraiment en mettant en prix la nature ? N’est-il pas dangereux de la mettre explicitement sous la coupe de l’économie de la finance ? Dans un monde où les hommes naissent égaux mais certains plus que d’autres, la mise en prix de la nature conduit inéluctablement à son appropriation par les « plus égaux que d’autres ».

De ce point de vue, la Commission Chevassus n’est pas très éloignée d’ATTAC, tant qu’il est question d’affecter un prix à la nature. Mais ce n’est pas ce qu’elle recommande.

Et pour revenir aux propositions de Jacques Weber (Royaliste nº 968), elles peuvent se résumer en deux propositions.

La première consiste à prendre en compte pour établir des taxes sur les services écologiques non pas le prix des services ou des ressources (impossible à établir) mais « les coûts de maintenance ou de restauration des services écologiques ».

La deuxième est de « basculer les systèmes de régulation, d’alléger la pression sur le capital manufacturier et humain et de reporter ces charges sur le capital naturel ». Il s’agit donc, sans que le total des taxes change, de déplacer l’effort vers le capital naturel : ceci devant inciter les agents économiques à réduire leur gaspillage dans ce domaine.

A partir de là, on voit qu’il peut devenir possible par le biais de taxes sur les services écologiques de faire basculer en douceur un système industriel de la production de biens périssables à la production de services, donc d’aboutir à l’économie circulaire.

 

VERS LA DÉFINITION D’UNE ÉCOLOGIE POLITIQUE

 

« La croissance infinie telle qu’elle existe aujourd’hui n’est pas tenable (…). La décroissance n’est pas recevable« , a déclaré Nicolas Hulot[10].  Intéressante remarque, car elle fait craindre que le concept ne soit pas bien compris : il est tout à fait vrai que ni le concept de croissance ultralibérale ni celui de décroissance tel que le définissent les groupes « anti-croissance » ne sont viables. Mais à quelle croissance Nicolas Hulot fait-il alors référence ? On retrouve là l’ambiguïté due à la confusion entre le développement de l’humanité et le développement de l’économie mondiale évalué par les indices quantitatifs de croissance du PIB. Ici se trouve le point crucial de toute nouvelle définition d’une écologie politique : tant que le concept de croissance dans son acception quantitative ultralibérale restera le grand principe qui définit le « développement » de notre société mondiale, aucune amélioration ne peut être possible.

On peut maintenant tenter une première définition de l’écologie politique, ou au moins énumérer les caractéristiques qu’elle doit impérativement remplir. Elle s’axe autour de quelques  principes et observations simples :

Un environnement de bonne qualité est vital pour l’homme et il ne doit en aucun cas sortir des limites de viabilité normales. Lorsque les facteurs du milieu tendent vers ces limites il devient prioritaire de tout faire pour qu’ils n’en sortent pas, au risque de crises majeures pour l’espèce humaine : elle ne résisterait probablement pas à une « sixième extinction ».

L’environnement est un système complexe qui ne se limite pas à des facteurs abiotiques, et la biodiversité est probablement le critère à la fois le plus important, le plus sensible  et le plus significatif : se trouvant au cœur de tous les cycles de l’écosystème planétaire, elle est indispensable au bon développement physique, social et psychologique de l’homme. Lorsqu’elle s’effondre, c’est un signe sans équivoque que l’on se rapproche dangereusement des limites de viabilité.

Il est vital pour l’homme d’adapter son milieu à ses besoins. Une défense de l’écologie prise comme la protection absolue d’un environnement sanctuarisé au détriment du développement de l’humanité n’a pas de sens. Il s’agit même d’une grave erreur écologique, l’homme étant partie intégrante de l’écosystème et devant comme toute espèce vivante coévoluer avec le milieu, en particulier pour le recyclage des sous-produits de ses activités. Or l’humanité possède des moyens techniques qui lui permettent de transformer le milieu avec une puissance et une vitesse telles qu’il n’est plus question de coadaptation. Les résultats du GIEC le montrent, l’environnement ne peut plus suivre le rythme et devient incapable de tamponner l’activité de l’homme. La responsabilité du maintien de l’équilibre retombe alors dans ses mains: c’est à lui de constater les effets de ses actions sur le milieu, à lui de prendre la mesure des déséquilibres ;  à lui d’éviter les erreurs ou de les corriger

Si l’économie fait partie des activités de l’homme dans son environnement, sa dérive ultralibérale donnant priorité exclusive aux intérêts financiers à court terme présente un risque très grave. En effet elle aboutit à la non-prise en compte des besoins du milieu et à un système dans lequel celui-ci peut être gravement dégradé voire détruit au détriment de l’immense majorité de la population et au seul profit (fugace) d’une infime minorité.

Une fois ceci établi, la priorité doit TOUJOURS être donnée au droit à une vie décente pour tous les êtres humains. Toute action touchant l’écosystème doit alors faire au préalable l’objet d’une réflexion sur cette règle absolue. Une écologie politique doit se fonder sur le premier article de la déclaration de la Conférence de Stockholm de 1972.

 

Une fois établi ce cadre, les principaux points à prendre en compte dans une écologie politique sont les suivants.

 

Nous faisons le constat que le système capitaliste et son dernier avatar, la mondialisation ultralibérale, système économique dominant depuis la chute du Mur de Berlin, se trouve à l’origine d’une crise protéiforme :

–          économique et financière ;

–          sociale (augmentation du chômage, baisse relative – voire absolue – des salaires, dégradation des conditions de travail, destruction du pacte social fondé en France sur le programme du CNR, harmonisation par le bas de la protection sociale, écrasement des classes moyennes…) ;

–          politique, liée à l’hypertrophie de la sphère économique, à la démission des politiques, à la substitution des gouvernements par la gouvernance, au développement des sciences et des techniques ;

–          de sens (nous n’avons plus pour seul horizon que la maximisation du profit immédiat, le rapport à l’argent a tout perverti, absence de projet politique alternatif, les intérêts privés l’emportent sur le bien commun, le confort immédiat sur les desseins de long terme) ;

–          mais aussi écologique (épuisement des ressources naturelles, changements climatiques, dégradation des écosystèmes, appauvrissement de la biodiversité…).

 

Au niveau écologique, le constat reconnaît l’effet négatif sur le milieu des activités  économiques telles qu’elles se déroulent à l’heure actuelle, et en particulier la responsabilité des activités industrielles sur le changement climatique comme le démontrent les travaux du GIEC. Et reconnaît par la même occasion que du fait du retard pris dans la reconnaissance des dégradations et de l’absence quasi-totale de réaction en temps utile face aux problèmes rencontrés, l’écosystème se trouve très dégradé, voire dans un état critique (les océans). Alors la priorité n’est plus l’entretien, mais la restauration. Le retard accumulé rend aigu le besoin de protection et de remise en état de l’environnement et des décisions dans ce domaines doivent être prises très vite.

 

Aucune action ne doit se décider sans vérifier au préalable si elle présente des bénéfices ou au contraire des aspects négatifs pour l’homme. Ceci veut dire qu’au départ toute action doit être pensée au bénéfice du milieu et/ou de son adaptation viable aux activités humaines SAUF SI cela présente des risques directs pour l’homme. Par exemple, l’utilisation d’OGM est à éviter (on ne mesure pas encore les effets à long terme de leur utilisation) sauf si leur utilisation est la seule façon, au moment de la décision à prendre, d’éliminer un risque de famine ou de santé publique. De façon plus générale, les principes de précaution et de subsidiarité doivent s’appliquer à toutes les analyses et recommandations, et par exemple l’utilisation de méthodes d’ingénierie écologique doit être a priori rejetée, sauf lorsqu’il n’existe aucune autre solution pour répondre à un risque immédiat et reconnu.

 

Le rejet des principes de l’économie ultralibérale, dont il est montré qu’elle a induit des effets négatifs dans tous les domaines, est une des conditions préliminaires et impératives pour permettre le développement durable d’une interaction positive entre les activités de l’humanité et l’environnement. Aucune amélioration de l’environnement ne peut être attendue tant que ces principes gèrent la vie de nos sociétés.

 

Une fois ces principes rejetés, l’objectif de « développement durable » peut être considéré comme valable à la condition de donner au terme « développement » son sens générique de développement humain et non de seul développement économique faisant référence à des notions quantitatives de croissance du PIB.

 

Il n’est pas question de transformer brutalement et du tout au tout le fonctionnement de la société : elle n’y survivrait pas et les dégâts humains seraient colossaux. Il faut donc trouver une forme d’organisation de l’activité économique qui ne soit pas nocive pour l’environnement et vers laquelle le transfert pourrait se faire sans trop de problèmes. L’économie circulaire semble un bon candidat.

 

Le système économique  actuel repose sur un dogme productiviste, partagé par la gauche comme par la droite : la richesse dépend directement de l’augmentation de la production. Tout le système industriel est organisé pour accroître la productivité. Dans la conception productiviste du système économique, la notion centrale est celle de valeur d’échange. Il s’agit désormais de donner la primauté à une autre notion : la valeur d’utilisation. Au lieu de vendre des produits, il faut vendre des services (S. Erkman, op. cit.)

 

L’objectif à terme est donc d’aboutir à un système qui nous sorte de l’économie de production et nous fasse entrer dans une économie de l’utilisation. Ceci passe dans une première étape par le lancement de l’économie circulaire qui consiste à rationnaliser l’exploitation du milieu dans une vision écosystémique (par analogie avec l’écosystème qui revient à optimiser le flux entropique et à tout recycler au long de la chaîne) par l’utilisation programmée des sous-produits d’une exploitation (produits dérivés, déchets à la production, récupération des produits finis usés, rationalisation des flux énergétiques induits, etc.).

 

Disposant d’un canevas et d’une écologie politique, des objectifs plus ciblés et plus immédiats peuvent alors être établis dans les divers domaines de l’activité sociale et économique : définition de politiques soucieuses de l’environnement en suivant les méthodologies développées dans ce document pour l’énergie, les transports, la consommation, l’occupation du territoire, l’urbanisation, l’eau, la santé, la sauvegarde de la biodiversité, la remise en état des écosystèmes dégradés (en particulier le domaine maritime dans son ensemble, de la frange infralittorale à l’océan mondial), les règles de gestion commune (intra- et internationales) des zones sensibles ou fragiles (zones internationales, gestion des bassins versants, des ressources partagées, etc.), le développement économique, industriel et social, le logement, les investissements prioritaires, la consommation des ménages, le rôle de l’Etat, le financement de la transition écologique, la mesure de la croissance, la dimension politique nationale et  internationale, tout ceci en se préoccupant des échelles pertinentes de temps et d’espace.

François VILLEMONTEIX

NB : Communication personnelle.  Certains paragraphes sont de Nicolas Palumbo. Il s’agit du paragraphe  1 dans le chapitre « vers la définition d’une écologie politique », qui commence par  « Nous faisons le constat que le système capitaliste… »; et le tout dernier paragraphe du document : « Disposant d’un canevas et d’une écologie politique, des objectifs plus ciblés…

 

Cette étude est destinée à mûrir la réflexion des militants de la Nouvelle Action royaliste, en vue de son 33ème congrès qui se tiendra en avril prochain.



[1] Royaliste, nº 820

[2] Avec tout ce que cela implique d’organisation, de connexions aux différents réseaux (eau, énergie, communication, approvisionnement, voierie et transports).

[3] Une rétroaction négative (negative feed-back en anglais) est à l’œuvre quand l’augmentation de l’effet d’un facteur A active un facteur B dont l’effet rétroactif sur A va dans le sens de son atténuation : le système est stable. Un exemple climatique : l’augmentation de l’activité solaire réchauffe la planète, ce qui augmente l’évaporation, donc la nébulosité, laquelle renvoie une grande partie du rayonnement solaire vers l’espace, ce qui refroidit la planète (ceci ne marche malheureusement pas avec le CO2 et l’effet de serre).  Une rétroaction positive, au contraire, fait que l’activité de A induit une activation de B qui en retour augmente l’activité de A : le système est hautement instable. Exemple écologique cette fois-ci : la forêt tropicale exige un taux d’humidité de l’air très élevé, dont une grande partie vient du recyclage des eaux de pluie dans l’atmosphère par la transpiration des arbres. En coupant les arbres, on diminue l’humidité, ce qui se traduit par une mortalité accrue du couvert forestier, donc une plus grande sécheresse, et le cycle se poursuit jusqu’à la désertification.

[4] Suren Erkman, 2004.  Vers une écologie industrielle : comment mettre en pratique le développement durable dans une société hyper-industrielle. Editions Charles Léopold Meyer, Paris.

[5] Sans oublier que l’homme étant un composant de l’écosystème, il fait partie lui aussi de l’écosystème naturel. Nous employons ce terme pour distinguer entre un écosystème complètement anthropisé et un écosystème où les principaux mécanismes n’ont pas encore été trop perturbés par l’action de l’humanité.

[7] Attac, 2012. La Nature n’a pas de prix : les méprises de l’économie verte. Editions Les Liens qui Libèrent

[8] R. Barbault et J. Weber, 2010. La vie, quelle entreprise! Pour une révolution économique de l’écologie. Science ouverte, Seuil.

[9] B. Chevassus-au-Louis et al., 2009. Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes. Paris, Centre d’Analyse Stratégique, La Documentation Française.

[10] TABLE RONDE « ECONOMIE CIRCULAIRE » CONFERENCE ENVIRONNEMENTALE DES 20 ET 21 SEPTEMBRE 2013

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