Election de l’Assemblée européenne au suffrage direct : non à l’imposture

Juin 9, 1977 | Union européenne

L’imposture

Le projet de loi sur l’élection de l’Assemblée européenne au suffrage direct sera débattu à la mi-juin. Il importe de dire que ce projet est une imposture et que ce débat sera celui de la trahison. Cela malgré les « garanties » dont prétend s’entourer le gouvernement. Cela malgré les précautions oratoires de parlementaires qui demanderont des assurances, qui joueront les défenseurs sourcilleux de l’indépendance nationale avant d’approuver le texte gouvernemental.

C’est écœurant de lâcheté et d’hypocrisie. Car Michel Debré a parfaitement démontré que toutes les « garanties » que pourra donner le gouvernement et que pourra voter le Parlement ne vaudront rien si l’Assemblée européenne décide d’étendre ses pouvoirs, puisque les députés français – en admettant qu’ils adoptent tous la même attitude seront trop peu nombreux pour empêcher quoi que ce soit.

Le piège est redoutable. D’autant plus que l’opinion française ne s’intéresse pas au débat, qu’elle estime juridique et abstrait. D’autant plus que chacun s’efforce de minimiser la question, les européistes, eux-mêmes sachant que la discrétion est la meilleure des tactiques. Ainsi la classe politique se prépare à enclencher le mécanisme des abandons de souveraineté dans l’indifférence générale. La classe politique tout entière puisque l’esprit d’abandon règne à gauche comme à droite.

L’ABANDON

A gauche pourtant, le Parti socialiste semblait s’être libéré de son européo-atlantisme puisque, ces dernières années, des responsables aussi différents que Charles Hernu et Jean-Pierre Chevènement parlaient le langage de l’indépendance nationale.

Mais le Parti socialiste s’est déclaré favorable au principe de l’élection de l’Assemblée européenne et les « durs » du CERES voteront comme la majorité du Parti. Au nom de la discipline. Et surtout pour ne pas provoquer, sur un point aussi « mineur », une crise qui les priverait du pouvoir l’an prochain.

A gauche pourtant, le Parti communiste semblait devoir rester inflexible. D’abord parce que son électorat et ses militants sont de véritables patriotes. Ensuite parce qu’il avait tout intérêt à faire oublier une longue tradition d’inféodation à Moscou. Et nous de démontrer que le P.C. était en train de se nationaliser. Et nous de réclamer l’unité d’action des royalistes et des communistes contre l’Europe. Notre analyse et nos propositions firent scandale…

Pourtant, c’est vrai : le Parti communiste s’est intégré à la communauté nationale, et son ralliement à la force de dissuasion en est un nouvel exemple. Mais, en même temps, le P.C. s’est totalement intégré au jeu politique. Et les impératifs de la « politique unitaire », et la volonté de parvenir au pouvoir l’emportent sur le souci de l’intérêt national. Conservateur de lui-même, gestionnaire de l’ordre établi, le Parti communiste n’est plus depuis longtemps un parti révolutionnaire. C’est un parti comme les autres, reproduisant toutes leurs tares mais en les aggravant d’une énorme bureaucratie héritée de longues années de monolithisme et de servilité stalinienne. Ce qui permet à un Kanapa de parader encore sur les estrades, et à un Marchais de se renier en toute tranquillité. C’est triste pour les militants communistes qui ont du patriotisme, de l’enthousiasme et de la générosité à revendre.

Mais la droite ? A l’heure où j’écris, on ne connaît pas encore la décision du groupe RPR. C’est dire qu’elle sera de toutes façons dictée par des considérations tactiques : sinon les amis de M. Chirac se seraient ralliés depuis longtemps au non catégorique de Michel Debré. Mais la peur de la dissolution incite à la prudence, et le RPR ne s’opposera au projet que s’il ne lui en coûte rien. Dommage, car la droite tenait là l’occasion de redorer son blason terni par le conservatisme et par trop de compromissions avec le monde de l’argent. Mais si elle vote le projet, comment pourrait-elle parler le langage du patriotisme aux prochaines élections et reprocher à ses adversaires de manquer des vertus qu’elle est incapable de pratiquer ? Restauré par un Président maladroit, l’édifice parlementaire abrite la même médiocrité et les mêmes bassesses qu’autrefois. Et le même dégoût de remonter à nos lèvres…

ÉCHECS

Le dégoût et la colère parce que cette Assemblée européenne est une imposture :

— C’est une imposture de proposer aux peuples d’Europe un système parlementaire dont nos voisins se moquaient quand nous le subissions avant 1958 et qui plonge aujourd’hui l’Italie dans la crise que l’on sait. Adopter ce système pour la « communauté européenne » revient à multiplier par neuf la pagaille, l’irresponsabilité et la corruption des régimes d’assemblée.

— C’est une imposture non seulement parce que ces institutions sont désuètes, mais aussi parce qu’elles sont placées au-dessus du néant. Car l’Europe européenne n’existe pas, même sous la forme économique : la construction brinquebalante baptisée « marché commun » n’a pas résisté à la crise de 19731974. Car « l’Europe » n’a empêché ni l’inflation, ni le chômage, ni la récession, ni l’exploitation des travailleurs – et en particulier des immigrés. Car « l’Europe » a été incapable de résoudre nos difficultés, les aggravant au contraire, dans le Midi viticole comme dans la sidérurgie et le textile. Car « l’Europe » a été incapable de tenir ses promesses, qu’il s’agisse des disparités de prix à la consommation ou des inégalités régionales. Car « l’Europe » a échoué dans sa volonté d’« intégration », sur le plan monétaire comme sur le plan fiscal ou énergétique.

Ainsi l’Europe économique est un échec, et l’affaire de l’Assemblée européenne est une fuite en avant, destinée à masquer l’échec du traité de Rome.

L’EUROPE AMÉRICAINE

L’Europe des rêves et des promesses n’existe pas. Mais autre chose est apparu ou s’est développé à la faveur de cette « construction ». Autre chose qui se nomme capitalisme, bureaucratie, technocratie, impérialisme américain. Car derrière le mythe de la « communauté européenne » apparait une communauté atlantique – bien réelle celle-là – présidée par les États-Unis. Car l’Europe est américaine dans son économie, dans sa politique comme dans sa défense : c’est l’Europe des multinationales et des bases de l’OTAN, de l’invasion industrielle et culturelle en attendant celle des produits agricoles (1). Et c’est cela que nous sommes priés de reconnaître et dans quoi nous devrions nous fondre en votant pour l’Assemblée européenne.

Voilà pourquoi « Royaliste » dit NON à ce projet. Voilà pourquoi la NAF fait campagne contre la politique de démission nationale aux cotés des gaullistes de l’Union des Jeunes pour le Progrès. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Ce refus n’est pas celui de la peur, ou de l’égoïsme. C’est le non de ceux qui entendent rester libres. Libres de refuser le capitalisme et l’impérialisme. Libres de refuser le totalitarisme sournois des technocraties de droite et de gauche. Libres d’accomplir les révolutions économiques et sociales nécessaires. Libres de réaliser par-delà le cadre étriqué de l’Europe des neuf, notre ouverture au monde.

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Editorial du numéro 250 de « Royaliste » – 9 juin 1987

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