Du travail clandestin – en 1996

Nov 4, 1996 | la lutte des classes

Le principal mérite du projet de loi réprimant le travail illégal, c’est de souligner le scandale de l’exploitation des êtres humains, dans sa vérité quotidienne et dans toute son ampleur.

D’abord des faits, qui concernent certains de nos proches ou qui ont été relevés par la presse à l’occasion de l’examen en Conseil des ministres du projet de loi contre le travail clandestin :

Ce jeune homme, bachelier, serveur qualifié, engagé sans contrat dans un très grand restaurant parisien situé près des Champs-Elysées ; travaillant douze heures par jour, obligé d’accomplir de multiples tâches sans rapport avec sa qualification, il passait sa journée sans manger (sauf quelques morceaux de sucre dérobés pendant le service) et sans même avoir la permission d’aller aux toilettes.

Ou bien ce journaliste quadragénaire engagé, sans contrat, dans une publication dont le directeur lui avait promis 15 000 F. par mois : jamais payé, il n’a pas eu les moyens de poursuivre le patron indélicat. Ou encore ces immigrés chinois qui travaillent à des rythmes d’enfer pour deux ou trois mille francs par mois. Dans les hôtels, dans l’agriculture, dans la confection, dans la bâtiment, dans la presse, dans l’édition, innombrables sont les victimes d’une exploitation éhontée, à laquelle elles se résignent pour échapper à la misère. La France, qui est un des pays les plus riches du monde, abrite un prolétariat dont les conditions de travail et de vie semblent tirées des pages les plus noires d’Emile Zola.

Des estimations chiffrées soulignent l’ampleur du scandale. Notre pays compte entre un et un million et demi de travailleurs illégaux. Les patrons qui les emploient font perdre à l’Etat 150 milliards de francs, mais les condamnations sont peu nombreuses et faiblement dissuasives : de simples amendes, rarement de la prison.

Autre repère chiffré qu’il faut mettre en évidence : contrairement au préjugé répandu et aux fantasmes entretenus par les nationaux-populistes et le gouvernement, les travailleurs clandestins ne sont pas, dans leur très grande majorité, des immigrés en situation irrégulière mais des travailleurs français : un seul sur dix est un étranger en situation irrégulière.

Dès lors, comment ne pas approuver dans son principe tout projet de lutte contre l’emploi illégal ? Le gouvernement a raison de vouloir réagir contre le laxisme ambiant et certaines des mesures qui figurent dans le projet de loi sont toujours bonnes à prendre : pouvoirs accrus pour les inspecteurs du travail – ils pourront avoir accès aux documents commerciaux – et pour les agents du fisc, interdiction pour les entrepreneurs condamnés de se porter candidats à un marché public, privation éventuelle des droits civiques…

Tout cela est empreint d’excellentes intentions mais le nouveau projet de loi reste empreint d’une grande timidité, quant aux sanctions notamment. Surtout, cette loi, comme tant d’autres, restera inefficace si ceux qui sont chargés de l’appliquer ne disposent pas des moyens nécessaires. Quant à la répression de l’emploi illégal, la première décision à prendre eût été de multiplier par trois au quatre le nombre des inspecteurs du travail et de leur donner les moyens administratifs d’accomplir leurs tâches.

***

Article publié dans le numéro 673 de « Royaliste » – 1996

Partagez

0 commentaires