Deuil : Philippe Cohen, toujours exemplaire

Nov 11, 2013 | Res Publica

La direction de « Royaliste » et les familiers de nos Mercredis parisiens ont appris avec chagrin la mort de Philippe Cohen, patriote et journaliste exemplaire. Bertrand Renouvin lui rend hommage, au nom de tous ceux qui, parmi nous, l’ont connu et aimé.

Philippe, nous l’avions reçu aux Mercredis en 1997 pour son premier livre, « Le Bluff républicain ».  Il était déjà évident que nous appartenions au même « parti », qui se cherchait déjà une fédérateur et une structure : le parti des politiques qu’on appelait alors le courant « national-républicain ». L’année suivante, Philippe devint secrétaire général de la Fondation du 2-mars, à laquelle nous n’avons pas participé mais nous nous étions retrouvés au Pôle républicain pour la campagne de Jean-Pierre Chevènement. Je me souviens d’une rencontre avec Philippe, début 2002, sur un plateau de télévision. Il était sévère sur la conduite de la campagne, ce qui m’avait surpris. C’est lui qui avait raison.

Après l’effondrement du Pôle républicain nous avons repris, chacun à notre manière, le combat contre l’oligarchie. Menée avec Pierre Péan, son enquête sur « Le Monde » fut un énorme pavé dans la mare. Nous avons soutenu nos deux amis contre la troïka Colombani-Minc-Plenel et nous avons réaffirmé à Philippe notre active sympathie lorsqu’il publia son enquête sur Bernard-Henry Lévy. Puis ce fut le livre pionnier sur la Chine, écrit avec Luc Richard. Engagé dans la bataille contre l’ultralibéralisme, Philippe a joué un rôle majeur dans la diffusion des idées protectionnistes et dans la dénonciation de l’euro. Rédacteur en chef de « Marianne 2 » entre 2007 et 2012, il fit de ce site le point de rencontre des économistes et des blogueurs hétérodoxes : Jacques Sapir, Emmanuel Todd, Jean-Luc Gréau, Laurent Pinsolle… Alors que toute la grande presse ignorait délibérément notre existence, je fus publié sur « Marianne 2 » ainsi que Luc de Goustine. Il nous fit connaître Panagiotis Grigoriou et, surtout, le fit entrer chez Fayard (1).

L’écho donné aux hétérodoxes fâchait les centristes de « Marianne » qui, après maintes pressions dont il m’avait fait part, obtinrent qu’il soit déplacé du site à l’édition sur papier à l’été 2012. A l’époque, Philippe était déjà la cible des maîtres-censeurs d’un « antifascisme » qui subissait depuis 1984 défaite sur défaite face au Front national. En mars 2011, Laurent Joffrin, dans « Le Nouvel observateur », l’accusa de faire cause commune avec  « une petite troupe de publicistes et d’intellectuels [qui], sous couvert d’anticonformisme, ont réhabilité les réflexes de la droite la plus identitaire » tandis qu’Ariane Chemin le plaçait sur la liste noire des « brouilleurs de repères » et des « agents de notabilisation » du lepénisme (2). Ces accusations étaient parfaitement imbéciles. Philippe avait annoncé que le Front national, sans abandonner sa propagande xénophobe, allait s’emparer de thèmes économiques et sociaux qui laisseraient la gauche sans réplique. Tel était son crime. Peu après cette polémique, je l’avais longuement interrogé sur Marine Le Pen, qu’il avait pris soin de rencontrer, et son analyse nous avait été une fois de plus précieuse : ce qu’il prévoyait alors, avec grande inquiétude, nous l’avons sous les yeux.

Les imbéciles n’ont pas désarmé. Au lieu de combattre le Front national avec des armes appropriées, ils ont voulu avoir la peau de Philippe Cohen. Lors de la publication de la biographie de Jean-Marie Le Pen écrite avec Pierre Péan, le patron de « Marianne », Maurice Szafran, l’accusa de « réhabiliter » le chef frontiste. Au dîner qui suivit la présentation du livre aux Mercredis de la NAR, Philippe m’annonça qu’il quittait le journal dont il était le cofondateur et qu’il ne trouverait place dans aucune publication parisienne : au « Monde », au « Nouvel observateur », au « Point », partout où Bernard-Henri Lévy est influent, on se réjouirait en silence de cette exécution douce.

Nous attendions quant à nous une nouvelle enquête et le lancement d’un nouveau média parce que c’était l’homme de tous les courages. Il faut relire ses livres et ses articles. Journaliste exemplaire, Philippe Cohen fera école, chez nous et ailleurs.

***

(1) Panagiotis Grigoriou, La Grèce fantôme, Voyage au bout de la crise, Fayard, 2013.

(2) https://bertrand-renouvin.fr/chronique-36-au-nouvel-obs-ignorance-ou-malveillance/#sthash.5tY2bcm3.dpuf

Article publié dans le numéro 1043 de « Royaliste » – 2013

 

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