Démocratie, Constitution, royauté.

Mar 25, 1991 | Res Publica

 

La Constitution de la 5ème République peut-elle « convenir à une royauté constitutionnelle, démocratique et parlementaire » comme l’a récemment déclaré le comte de Clermont ?

Située dans la droite ligné de la pensée du chef de la Maison de France, la perspective à nouveau clairement formulée par le prince héritier soulève deux séries de questions qui touchent à la compatibilité des principes – ceux de la royauté, ceux de la Constitution – et aux conditions juridiques de l’instauration. Il faut, pour y répondre, être attentif au choix des mots employés.

Pourquoi instaurer ? Il semble que verbe ne soit pas seulement choisi pour éviter les images réactionnaires et contre-révolutionnaires qui sont associées au mot restauration. Ce n’est pas une répétition qui est envisagée, une reproduction à l’identique d’un Ancien régime mythifié, mais un acte décisif par lequel les institutions actuelles pourraient trouver des fondations plus profondes. Ce n’est pas non plus une révolution – au sens d’un bouleversement radical de ce qui existe, puisque notre Constitution peut « convenir » à la royauté.

Légitimité

Pourquoi évoquer la royauté plutôt que la monarchie ? Pour désigner ce qui manque à l’Etat et à la nation : une légitimité historique incarnée par une dynastie, une tradition millénaire de service de la nation, une volonté, symbolique au sens précis du terme, de lier la succession des temps de l’histoire, sans rien retrancher ni omettre mais au contraire en donnant l’assurance d’une continuité dans le très long terme. Quant à la monarchie, nous l’avons de facto, avec ses avantages – l’unité de la décision, l’indépendance relative des choix essentiels, l’arbitrage possible – et ses inconvénients : le risque de la dérive autoritaire, l’épreuve permanente de la courtisanerie, la trop grande importance des données personnelles dans la conduite des affaires de l’Etat…

D’où la nécessité, que nous avons souvent soulignée, d’une monarchie tempérée par le roi. La « royauté constitutionnelle » évoquée par le comte de Clermont a évidemment cette fonction régulatrice puisqu’elle permettrait une application rigoureuse et fidèle du texte de 1958. D’une part, la règle successorale permettrait la pleine réalisation des principes d’arbitrage et de continuité, et l’accomplissement plus sûr de la mission du chef de l’Etat en ce qui concerne le respect de l’Etat de droit. D’autre part, la royauté assurerait un fonctionnement plus équilibré des pouvoirs en faisant disparaître la rivalité entre le président de la République et le Premier ministre : dans des institutions où le chef de l’Etat disposerait de la continuité, le gouvernement pourrait enfin remplir le rôle du qui est assigné – « déterminer et conduire la politique de la nation » – et le rôle du Parlement s’en trouverait rehaussé.

Cette royauté constitutionnelle serait donc effectivement démocratique. Rien dans la tradition incarnée par la Maison de France ne contredit la Déclaration de 1789 (signée par Louis XVI) et les principes réaffirmés au Titre premier de la Constitution – qu’il s’agisse du suffrage universel, de l’égalité des citoyens devant la loi, de la laïcité – dont l’origine remonte à Philippe Le Bel – ou encore du libre concours que les partis et groupements politiques apportent à l’expression du suffrage. Comme dans les autres monarchies européennes, la présence royale offrira au contraire des garanties plus solides que celles qui nous sont données aujourd’hui puisque le chef de l’Etat n’aura plus de tentations ou d’attitudes partisanes.

Que cette royauté démocratique soit parlementaire résulte de ce qui précède et, aussi, de la tradition qui s’est esquissée dans la Constitution de 1791, puis concrétisée à travers la pratiquée politique de la monarchie restaurée en 1814 et, de manière implicite, dans la Constitution de la 3ème République. L’instauration de la royauté se présente donc comme le point d’aboutissement d’un double mouvement synthétique – celui de la tradition républicaine intégrant la dimension monarchique dans la Constitution, celui de la tradition royale reprenant le mouvement de 1789 et intégrant les acquis démocratiques de la modernité.

Possibilité

Encore faut-il, pour que la Constitution convienne à la royauté, que celle-ci en respecte les procédures et les principes. Pour être pleinement légitime, l’instauration devrait nécessairement respecter la procédure de révision constitutionnelle et soumettre à référendum la révision des articles 6 et 7 de la Constitution. Reste la question de la forme républicaine, dont l’article 89 précise qu’elle « ne peut faire l’objet d’une révision ». A mon sens, cet alinéa n’a pas besoin d’être supprimé pour trois raisons :

  • Il s’agit de la forme républicaine du Gouvernement, qui continuera de procéder du suffrage universel ;
  • Le mot de République n’a jamais reçu de définition institutionnelle positive, la tradition républicaine faisant sur ce point référence à des formes antinomiques, depuis la dictature de Salut public jusqu’à l’élection directe du président en passant par le régime d’Assemblée ;
  • La conception commune de la République est celle de l’Etat de droit, qui convient autant, sinon plus, à la royauté à venir qu’à notre monarchie présidentielle.

Reste à parcourir le chemin ainsi tracé.

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Editorial du numéro 555 de « Royaliste – 1991

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