Fièrement intitulé « Vers une nouvelle croissance pour la France », le rapport rédigé par Michel Camdessus ne mérite pas le moindre mot de colère.

Il faut lui accorder une attention froide, parce que Nicolas Sarkozy a salué avec enthousiasme le travail accompli par le rapport et par son groupe d’experts. Le futur candidat à la présidence de la République a désormais entre les mains son programme de gouvernement : voilà qui est clair. L’importance de la matière exige une première série d’analyses destinées à établir sa plus ou moins grande toxicité.

Du point de vue sociologique, le rapport Camdessus se présente comme un pur produit oligarchique : c’est notre très provisoire ministre de l’Economie qui avait demandé à l’un des proches conseillers du chef de l’Etat (entre autres…) de se pencher sur « les freins à la croissance ». Il paraît en outre utile de préciser que le rapporteur est la pure incarnation de la fraction financière de l’oligarchie puisque Michel Camdessus est gouverneur honoraire de la Banque de France et, surtout, ancien président du Fonds monétaire international. A ce poste, il a appliqué avec une rigueur impitoyable les prescriptions ultralibérales qui frappent les populations des pays pauvres.

Si l’on prend la chose sous l’angle de la littérature idéologique, le texte se situe de toute évidence dans la droite ligne du rapport Minc (qui avait inspiré le programme d’Edouard Balladur en 1995) et du gros livre fabriqué par et pour la classe dirigeante sous l’égide de Roger Fauroux (1).

La technique de l’auteur est de facture très classique : l’énoncé programmatique est précédé d’un chantage qui vise à mettre en condition l’opinion publique. Comme Roger Fauroux, Michel Camdessus proclame que nous allons à la catastrophe si les mesures qu’il préconise ne sont pas adoptées : nous sommes avertis que la France « décroche » et qu’elle doit choisir le « sursaut ».

Le procédé d’intimidation s’appuie comme d’habitude par une apparence de scientificité : comme le rapport d’Alain Minc, celui de Michel Camdessus est le résultat du travail d’un « groupe d’experts indépendants ». Prévenus comme les illusions de l’expertise (2) nous sommes en doit de nous demander quelle est au juste l’indépendance de tel dirigeant de compagnie d’assurance (AXA en l’occurrence) par rapport aux intérêts qu’il a pour mission de défendre, à ses propres avantages et aux préjugés de son milieu.

L’argumentaire subliminal ne nous est pas moins familier. Il évoque irrésistiblement le discours qui tenaient les dirigeants soviétiques : s’il subsiste des problèmes dans le camp socialiste, c’est que le « socialisme réel » n’est pas encore complètement réalisé. De même, les mécomptes de l’ultralibéralisme exigent toujours plus de libéralisme…

Bien entendu, le rapport de Michel Camdessus est présenté sous un habillage seyant, tissé de proclamations moralement correctes : il est question de « reconstruire notre cohésion sociale » et de prendre part au « combat contre l’extrême pauvreté qui ravage un monde d’abondance ». Mais le catalogue des propositions est rédigé dans la langue de bois en usage dans les cercles technocratiques français et européens : l’obscurité des mots masque la violence du propos.

Un premier décryptage permet d’établir que Michel Camdessus veut durcir la ligne ultralibérale : suppression des augmentations annuelles du Smic ; réduction drastique du nombre des fonctionnaires ; recherche systématique de l’excédent budgétaire ; obligation pour les chômeurs d’accepter n’importe quelle sorte de travail, n’importe où et à n’importe quel prix ; déréglementation des professions « fermées », des pharmaciens aux chauffeurs de taxis ; réduction du nombre de nos postes diplomatiques ; allégement de la fiscalité sur le capital ; poursuite de la destruction du Code du travail au nom de la flexibilité et de la mise en concurrence de tous contre tous…

Tel serait « le creuset de notre destin ». C’est un programme de lutte de classes, une déclaration de guerre au peuple des salariés et des fonctionnaires. C’est le programme de Nicolas Sarkozy.

***

(1) Roger Fauroux, Bernard Spitz, Notre Etat, Robert Laffont, 2001. Cf. la critique publiée dans Cité n° 37-38.

(2) Cf. Jacques Sapir, Les économistes contre la démocratie, Albin Michel, 2002.

Editorial du numéro 846 de « Royaliste » – 2004

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