« Les socialistes sont comme les deux Dupond(t) : quand ils roulent dans le désert, il suffit qu’il y ait un palmier pour qu’ils rentrent dedans », me disait un ami. Hélas, les palmiers sont particulièrement nombreux ces temps-ci : de la conférence de Williamsburg aux manifestations policières, sans oublier la lamentable affaire des Irlandais de Vincennes, ce ne sont que fautes de conduite, erreur d’appréciation et cafouillages en tous genres.

Ensuite, il s’agit de réparer. Telle était l’intention du Président de la République, lors de l’entretien télévisé du 8 juin dernier. Intervention nécessaire, urgente tant la confiance était atteinte, mais finalement manquée. La bonne volonté ne faisait pas défaut, ni même la volonté tout court. Mais la réussite était sans doute hors de portée parce que nous sommes, déjà, dans une situation qui exige autre chose que des paroles. Le Président devine-t-il cet état de fait ? Sa curieuse attitude hiératique, au début de l’émission, semblait indiquer que l’Etat qu’il incarne entend et comprend les cris de colère et les manifestations d’inquiétude, sans être désormais capable d’une action salvatrice.

— Certes, un discours sur l’autorité de l’Etat a été prononcé, suivi de sanctions dans la police. Simple colmatage d’une brèche dangereuse, qui ne rassure pas quant à la simple capacité du pouvoir à maîtriser les mécanismes administratifs et à faire appliquer ses décisions : trop de frondes – celle de certains diplomates récemment – trop de décisions rapportées ou enterrées, montrent que l’Elysée ne parvient pas à traduire dans les actes la politique qu’il entend mener.

— Certes, la politique de rigueur a été justifiée, mais d’une manière trop formelle pour emporter l’adhésion. Plutôt que de convaincre, le souci principal du Président semble avoir été de se justifier à ses propres yeux, de rétablir la cohérence du discours tenu depuis mai 1981, malgré le retournement de mars dernier. Mais comment oublier que le Président de la République a failli choisir une politique économique toute différente après les élections municipales ? Comment ne pas voir que cette autre politique demeure possible et nécessaire ?

— Certes, le souci de justice sociale a été une nouvelle fois exprimé, et le Président a clairement dit que la politique de rigueur ne saurait l’en détourner. Les deux exigences sont pourtant inconciliables, M. Delors ayant lui-même reconnu que son plan se traduirait par une augmentation du chômage – ce que les sombres prévisions établies par l’INSEE viennent confirmer.

UNE SITUATION TRAGIQUE

Somme toute, le Président de la République n’a pas réussi à calmer les inquiétudes, encore moins à susciter l’élan qu’il voudrait bien créer. Ceux qui n’ont cessé de répéter que tout cela finirait mal se frotteront les mains : nous ne nous réjouissons pas avec eux d’assister à l’effondrement d’un projet qui avait sa valeur. L’échec de la politique de changement n’est pas seulement celui du chef de l’Etat et du gouvernement : il est le signe, presque désespérant, d’une incapacité du milieu politique et de la société civile à se transformer. Echec du Parti socialiste, qui aurait dû inventer un nouveau mode de présence dans la vie publique. Echec des syndicats, face à la montée des corporatismes. Mais aussi échec collectif d’une société qui est incapable de vivre la décentralisation esquissée, incapable de concevoir, par elle-même, une nouvelle forme de développement économique, et qui résiste de plus en plus mal à ses pulsions racistes et à ses fantasmes sécuritaires.

D’où la situation, vraiment tragique, d’un Président confronté à toutes sortes de fatalités : fatalité de la division politicienne, qui s’est encore aggravée malgré ses appels à l’unité; fatalité de la guerre économique, à laquelle nous ne savons pas résister ; fatalité de la désintégration de la société française, qui rend dérisoire l’appel à l’effort commun. Pour surmonter ces logiques infernales, il faudrait que le Président de la République manifeste une volonté et un esprit de décision exceptionnels, reconquière son autorité (non celle du père fouettard mais celle qui dit le sens de l’œuvre à accomplir) et se mette en situation d’arbitre au-dessus des factions.

Nous assistons au contraire au triste spectacle de l’indécision, de la contradiction interne et de l’enfermement dans la logique partisane. Le Président ne peut avoir la confiance de la nation s’il tombe dans les pièges grossiers de Reagan, même s’il vient nous jurer, bien tard, qu’on ne l’y reprendra plus. Il ne peut être arbitre s’il continue de composer son gouvernement en fonction des tendances du parti socialiste. Il ne peut redresser la situation économique s’il s’incline devant les dogmes libéraux, s’il accepte de se soumettre à la loi de l’impérialisme. Il ne peut redonner l’espoir s’il n’a pas confiance en lui-même.

Chaque mois qui passe accentue la dérive. Chaque projet différé creuse nos déficits et accroît le découragement. Chaque réforme manquée compromet notre avenir. Dans une société éclatée, que les partis déchirent, seul le chef de l’Etat peut encore être l’artisan d’un sursaut. Il lui reste l’été pour réfléchir, afin de donner au pays le projet et les moyens nécessaires à sa renaissance.

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Editorial du numéro 385 de « Royaliste » – 23 juin 1983

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