Chronique 26 : Marcel Gauchet et la question de la révolution

Juil 19, 2010 | Chronique politique | 2 commentaires

L’affaire Bettencourt n’est pas terminée mais Marcel Gauchet a livré au Monde (18-19 juillet) les principales conclusions politiques que nous pouvons en tirer :

Les promesses de Nicolas Sarkozy sont devenues odieuses : les déjà-riches nous annonçaient l’enrichissement par le travail. Mais « la France qui se lève tôt » découvre chaque matin que les riches décomplexés sont toujours plus riches, échappent à l’impôt, se livrent à maintes turpitudes et vivent en osmose avec les dirigeants politiques. Or Monsieur Woerth, au cœur de la tornade, prépare une réforme qui appauvrira les retraités ; Monsieur Fillon, qui le couvre, annonce la rigueur qui implique la baisse du pouvoir d’achat et la récession ; Monsieur Sarkozy, qui dépense des sommes folles pour sa propagande, défend bec et ongles le bouclier fiscal qui fait faire de bien belles économies à Madame Bettencourt. Celle-ci, soit dit en passant, devrait se trouver en garde à vue depuis belle lurette.

Toute l’équipe dirigeante est discréditée mais cette fraction droitière de l’oligarchie réagit comme la gauche naguère visée par des affaires pas plus reluisantes : elle est persuadée que le peuple français oubliera ce feuilleton, comme tant d’autres. Elle se trompe. Marcel Gauchet a raison de dire qu’il y a « une sorte de dimension subliminale de la mémoire politique dans une société ». L’amnésie est illusoire : depuis la nuit du Fouquet’s, les déceptions et le ressentiment s’accumulent d’autant plus fortement que « le culte de la chose publique est plus fortement intériorisé en France que partout ailleurs ». D’où l’échec, irrémédiable, du supposé président : « Les gens sont donc très choqués quand les individus au pouvoir se comportent en individus privés. La plus grande faille de Nicolas Sarkozy, c’est qu’il n’a pas le sens de l’institution. Le côté privé du personnage prend toujours le dessus. Il n’arrive pas à être un homme d’Etat ».

Cette situation n’est pas réjouissante car les dirigeants socialistes feraient la même politique ultralibérale que leurs compères de droite – mais en prenant soin d’y adjoindre quelques mesures fiscales et deux ou trois ambulances sociales. D’où le constat de Marcel Gauchet : « Le climat de la société française n’est pas révolutionnaire, mais il est habité par une révolte sourde et un sentiment de distance radicale à l’égard du personnel dirigeant ». Je partage ce point de vue mais je me sépare du rédacteur en chef du Débat lorsqu’il affirme ce qui suit : « Pour qu’il y ait une révolution, il faut qu’il y ait un programme révolutionnaire […] Or, nous sommes dans des sociétés dont le climat moral est dépressif, parce qu’elles sont confrontées à des problèmes dont elles ne voient pas la solution ».

Pourtant, le programme de la révolution économique et sociale existe : Jacques Sapir a récemment mis au clair ses principes, sa stratégie et sa tactique, ce qui permet aux « hétérodoxes » de débattre en toute connaissance de cause (1) et de présenter les nouvelles idées et les précisions qui pourraient nous permettre de sortir de la crise provoquée par les ultralibéraux.

Ce programme révolutionnaire est celui d’une petite fraction des élites françaises – chercheurs, journalistes, syndicalistes, fonctionnaires – et de petits groupes de citoyens fidèles au gaullisme ou au socialisme authentiques. Mais il est vrai que la plupart des responsables politiques et syndicaux refusent d’envisager un protectionnisme européen, thème qui est ignoré dans l’opinion publique parce que les grands médias continuent d’imposer le débat convenu entre ultralibéraux et socio-libéraux et de donner la parole à des « experts » qui sont pour la plupart liés aux milieux financiers. Sur ce point, Marcel Gauchet a raison : la société française n’est pas informée de l’alternative à l’ultralibéralisme et il est urgent que le courant hétérodoxe développe ses moyens d’expression.

L’obstacle médiatique ne serait pas insurmontable si le programme révolutionnaire était promu par un parti politique et par des dirigeants capables de se faire porter au pouvoir.

Là est l’impasse. L’ultralibéralisme agonise sous nos yeux, l’oligarchie est discréditée, le programme de salut public est au point, les étapes de la politique de redressement peuvent être rapidement précisées – mais il n’y a pas de chef de guerre (sociale) pour nous rassembler et nous conduire à la victoire. Nous ? La masse militante importante, peut-être considérable, formée par les orphelins du gaullisme, les socialistes patriotes, les anciens du Parti communiste, les syndicalistes déçus par leurs chefs, les libéraux qui ont pris la mesure, grâce à Maurice Allais et Jean-Luc Gréau, de la catastrophe libre-échangiste.

Cette masse pourrait s’organiser au sein d’un Parti républicain (royalistes compris, car nous avons tous le même souci de la chose publique) ou si l’on veut être plus précis d’un Parti patriote révolutionnaire. Mais Dominique de Villepin, enfermé dans la droite gaulliste et Jean-Luc Mélenchon, qui se voit seulement en héros de la gauche radicale, refusent d’accomplir leur propre révolution afin de devenir des hommes de rassemblement. Ils nous déçoivent mais surtout ils font courir un risque très grave au pays : la percée fulgurante d’un tribun de la plèbe qui reprendra le thème nationaliste et l’adaptera à la crise économique et sociale.

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(1) cf. ma chronique n°23 : Les propositions de Jacques Sapir.

 

 

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2 Commentaires

  1. EtienneR

    Bonjour, je me permets deux petites questions :

    . A propos du dépassement du clivage gauche droite : ce point, central, mérite peut être d’être détaillé au delà de l’affirmation. N’est ce pas tout le problème dans l’émergence d’un leader ?
    Je me vois mal suivre un 2villepin… Et je vois mal mes amis de droite rejoindre un Mélanchon…
    . Que pensez-vous de François Asselineau ?

  2. Francois

    Je souscris globalement à cette analyse mais je voudrais y ajouter une remarque: si la situation est révolutionnaire, la population française ne l’est plus. Les trente glorieuses lui ont permis de se constituer un patrimoine, en général constitué du logement familial, et a partir de là le souci dominant est de le sauvegarder, donc de ne pas le risquer dans des aventures. Or tout le monde sait qu’un changement quel qu’il soit va s’accompagner de séismes économiques, et donc que la valeur de ces patrimoines risque de fortement baisser. L’équivalent en France de l’effondrement de la bulle immobilière américaine serait de ce point de vue un véritable séisme, puisqu’il toucherait l’essentiel de ce qu’est ce patrimoine. Ceci expliquerait en partie pourquoi quand il s’agit de la « politique de proximité » la France vote massivement à gauche (régionales, municipales), et à droite quand des changements d’option de gouvernement sont en jeu.
    Du coup il n’est pas surprenant que le Front National recommence à devenir une hypothèse de travail : c’est le seul parti qui prétende pouvoir tout changer en maintenant tout comme avant.
    En plus du besoin réel de prise en compte par un leader, le mouvement hétérodoxe deviendra une alternative possible quand les français auront compris que loin de s’attaquer aux patrimoines des familles, il représente la seule solution pour sauvegarder ce qui pourra l’être. Mais cela ne se produira que lorsque le risque de voir disparaître complètement ce patrimoine apparaîtra comme supérieur à celui de le voir simplement diminuer du fait de changements de société.