A quelques exceptions près, les experts économiques et financiers qui colonisent les médias sont avant tout des spécialistes de la billevesée, faux doctes et vrais menteurs, grassement payés par les financiers, maîtres de l’heure.

L’un a conseillé François Mitterrand. L’autre fut proche de Nicolas Sarkozy. Tel est un vénérable professeur d’économie ou alors c’est un jeune homme bien mis qui explique la finance devant une muraille d’écrans, dans une salle de marchés… Dans la « société de l’information », il est normal qu’on privilégie la compétence, nécessairement réaliste, et l’expertise qu’on pense indépendante parce que le mot évoque l’expert auprès des tribunaux qui ne prend pas parti dans le procès. Comment ne pas faire confiance à « ceux qui savent » et qui nous disent qu’on va s’en sortir en faisant des sacrifices ?

Le prestige de l’expert avait été savamment mis en cause par Jacques Sapir voici quelques années (1) sans que les membres de la confrérie visée cessent de pontifier dans tous les médias. Exaspéré par cette manière arrogante de persévérer dans l’erreur et de diffuser des mensonges éhontés, Laurent Mauduit dénonce à son tour l’imposture dominante sans céder aux facilités du pamphlet. Judicieusement, les deux personnages emblématiques sont renvoyés à la fin du volume, là où doivent se placer les éléments synthétiques : Alain Minc, « grand prix de la pensée unique », et Jacques Attali, patron douteux d’un hyper réseau affairiste, font l’objet de deux chapitres qui peuvent être révisés à la hâte si ces rois de l’opportunisme, plagiaires patentés et spécialistes de la production d’imbécilités rentables, font retour dans les palais officiels. Mais les deux bonshommes sont tellement caricaturaux qu’ils produisent leur antidote alors que d’autres experts paraissent dignes de considération. Quelques exemples pris parmi les habitués des plateaux :

Jean-Hervé Lorenzi est professeur à l’université Paris-Dauphine, il a milité à gauche, tellement à gauche que dans sa jeunesse il avait hésité avant d’accepter une invitation dans nos locaux. Je ne sais s’il a eu les mêmes scrupules quand il s’est agi de rejoindre la Compagnie financière Edmond de Rothschild, le conseil de surveillance d’Euler-Hermes, le conseil d’administration de BNP Paribas Cardif (parmi d’autres) et le conseil scientifique de Rexecode qui est une annexe du Medef. En tous cas, il a le culot de se présenter comme un homme libre et de donner une apparence de scientificité à des opinions qui ne dérangent jamais les intérêts de ses maîtres. Personne ne s’étonne que cet homme couvert de chaînes dorées puisse présider le Cercle des économistes et être membre du Conseil d’Analyse Economique. Qu’on sache désormais que le dit Cercle ne fait pas autorité.

Daniel Cohen, lui aussi enseignant et auteur brillant, est « senior adviser » à la banque Lazard et a conseillé à ce titre le gouvernement grec avec le succès que l’on sait mais non sans en retirer des émoluments substantiels. Comme « senior adviser », il perçoit une rémunération fixe de 500 000 dollars par an et touche en part variable 15 à 20{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des affaires qu’il apporte à la banque ! Daniel Cohen, qui se situe à gauche, peut-il donner son enseignement en toute rigueur et donner des conseils parfaitement désintéressés à François Hollande ? Il est permis d’en douter.

Christian de Boissieu, professeur d’économie a été membre du conseil stratégique d’Ernst & Young et membre – entre autres – du conseil de surveillance de la banque Neuflize OBC jusqu’en 2011 – alors qu’il était déjà président délégué du Conseil d’Analyse économique. De ces conflits d’intérêt, personne ne s’est jamais inquiété.

Elie Cohen, qui se fit naguère le promoteur du « colbertisme européen » est devenu ultralibéral. On prendrait cette évolution intellectuelle au sérieux si cet homme qui a enseigné dans des établissements prestigieux n’était pas administrateur de plusieurs sociétés qui le font vivre : en 2010, il a reçu 110 000 euros en jetons de présence, soit le double de ce que gagne un professeur d’université en fin de carrière.

Après avoir examiné les pratiques douteuses de certains universitaires, Laurent Mauduit met en garde contre les économistes de banque (par exemple Patrick Artus, de Natixis) qui sont par définition au service de leur employeur, puis révèle un scandale encore plus grave. Le milieu financier n’achète pas seulement des individus diplômés : il exerce la réalité du pouvoir dans plusieurs établissements de l’enseignement public, à Paris-Dauphine et à l’Ecole d’économie de Toulouse tout particulièrement. Point de complot, mais l’utilisation des possibilités offertes par la loi de 2006 sur la recherche, qui autorise et encourage par mesures de défiscalisation le financement des universités par des capitaux privés. L’enquête menée par Laurent Mauduit donne toutes les preuves, accablantes pour le défunt sarkozysme, de la privatisation croissante de l’Université française.

Il faut, bien entendu, mettre un terme à ce système de corruption des enseignants et des établissements d’enseignement de l’économie : abroger la loi LRU sur l’université est la première urgence ; imposer aux enseignants le respect de la loi qui interdit à un professeur d’université de siéger au conseil d’administration d’une entreprise privée ; exiger que les experts réels ou supposés indiquent l’ensemble de leurs activités rémunérées lorsqu’ils publient un livre ou lorsqu’ils sont consultés par les médias. Ce serait un beau début, dans le combat contre l’imposture.

***

(1) Jacques Sapir, Les économistes contre la démocratie, Albin Michel, 2002.

(2) Laurent Mauduit, Les imposteurs de l’économie, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 2012.

Article publié dans le numéro 1014 de « Royaliste » – 2012

Partagez

0 commentaires