François Gerlotto : Confessions d’un climato-sceptique – 3

Oct 2, 2021 | Billet invité

 

III. PEUT-ON ETRE « CONTRE LA SCIENCE » ?

Le point le plus grave, dans ce déni scientifique de la part de chercheurs reconnus, c’est qu’il permet au lecteur de s’imaginer que les travaux scientifiques ne produisent pas des résultats, mais des opinions : si même Vincent Courtillot ou Claude Allègre affirment que l’on peut faire dire n’importe quoi aux données scientifiques, la rigueur scientifique perd toute crédibilité. Voilà qui pose plusieurs questions, dont la plus cruciale est : comment distinguer une conclusion scientifique « correcte » d’une opinion dénuée de toute valeur scientifique, même venant de la bouche d’un chercheur ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la réponse est relativement simple : la méthode scientifique a des exigences très précises, et si ses règles ne sont pas respectées, on peut soupçonner de fraude celui qui ne les respecte pas. Ou au moins de légèreté coupable, venant d’un scientifique qui en principe accepte de se soumettre par déontologie à un protocole d’observations et d’expérimentations strict.

Quelques exemples, sur quelques règles.

La première règle consiste évidemment à ne pas dire n’importe quoi. Nous l’avons vu avec la comparaison par V. Courtillot de courbes qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Assimiler des températures minimales, comme il l’a fait, à des températures moyennes, est une fraude sans équivoque, et doit faire rejeter toute la démonstration, qui est absurde.

Une deuxième règle, qui elle n’a pas été respectée par C. Allègre, consiste à comparer une donnée unique avec une série statistique. Le temps qu’il fait aujourd’hui peut être très différent du climat moyen (c’est pour cela que l’on utilise des méthodes statistiques) et ne permet pas, à lui seul, d’en inférer une loi ou de révoquer en doute une loi. Pourtant C. Allègre n’a pas hésité à le faire : « Lorsque l’on voit en plein été, comme cela s’est passé en 2008, des éléphants patauger dans la neige au Kenya, beaucoup de gens de bonne foi s’interrogent : cela fait un peu désordre comme indice de réchauffement ! » (C.A., p. 18). Un chercheur qui ose dire des absurdités de ce genre ne peut pas être pris au sérieux !

Une troisième règle, sur laquelle il faut s’étendre un peu plus longtemps, et qui a été allègrement (si j’ose dire) violée par un autre chercheur, consiste à respecter les méthodes de validation statistiques. L’exemple que je donne ici sort du cadre du réchauffement climatique pour entrer dans un autre dossier, très différent par son objet mais dont les règles scientifiques sont les mêmes : la pandémie due à la COVID 19 et les positions du docteur Didier Raoult. Je tire mes citations d’un autre livre : « Raoult. Une folie française », d’Ariane Chemin et Marie-France Etchegoin[1] (Il sera cité « D.R. » dans la suite de ce texte). La polémique s’est exacerbée autour de la position du Dr Raoult, qui préconisait l’emploi d’hydroxychloroquine comme médicament pour réduire les risques de maladie. Son Institut avait réalisé des tests qui prétendaient démontrer que cette molécule était capable de faire baisser très fortement les charges en virus dans l’organisme, puis en peu de temps de l’éliminer complètement. Cette « démonstration » a donné lieu à une forte controverse : les expériences étaient-elles valables ? La chloroquine était-elle oui ou non efficace contre la COVID 19 ?

Dans les disciplines biologiques, où d’innombrables facteurs peuvent jouer sur un phénomène, comme c’est le cas pour une guérison que l’on suppose due à un médicament particulier, il est indispensable de réaliser une expérimentation sur un grand nombre d’individus, de sujets. Ou au moins doit-on la réaliser sur un nombre qui puisse être traité statistiquement et fournir des intervalles de confiance, et comparer les résultats à ceux obtenus sur des sujets témoins, par exemple (dans ce cas particulier), ceux chez qui le médicament aura été remplacé par un placebo. Or le Professeur Raoult a d’emblée refusé ce protocole, et déclaré que « Nous avons mesuré la charge virale, on voit qu’elle baisse, donc c’est que ça marche » (D.R., p. 161). Nous retrouvons ici une position assez semblable à celle de C. Allègre sur les éléphants du Kenya. Puis il répond à une question sur la faible amplitude de l’essai : « C’est contre-intuitif, mais plus l’échantillon d’un test clinique est faible, plus ses résultats sont significatifs [2] » (D.R., p. 161) ! Une telle position n’est pas contre-intuitive, elle est absurde. Il est vrai que l’intuition d’un phénomène peut venir – vient le plus souvent – de l’observation d’un cas unique ; mais l’expérimentation pour confirmer cette intuition exige un échantillonnage suffisant, et celle qu’a conduite M. Raoult est l’exact contraire d’une expérience scientifique sérieuse : elle aboutit à pouvoir conclure n’importe quoi, ou plus exactement elle ne permet en aucun cas de conclure que les résultats soient significatifs.

Car, quatrième règle, ici aussi particulièrement importante en biologie, les résultats doivent être soumis à réfutation, c’est-à-dire qu’ils doivent être relus et reproduits par des « pairs », des chercheurs de la même discipline qui reprennent pas à pas le protocole, les données, les méthodes et les résultats avant de les valider (ou pas). Et l’on sait d’ailleurs que même ces précautions n’empêchent pas des résultats faux de passer parfois à travers les mailles du filet [3] ! C’est, incidemment, ce désir de tester et de réfuter les résultats du GIEC à partir de contradictions dans les observations de température, qui rendait les critiques de V. Courtillot sur le refroidissement des années 1940-1970 tout-à-fait pertinentes. Or dans le cas des expériences de Didier Raoult, « aucun ʺcomité de lectureʺ n’a apprécié le sérieux de l’étude avant qu’elle soit rendue publique. Et pour cause, disent-ils, la méthodologie est hors des clous. Pas de groupe placebo pour évaluer les effets du traitement, et surtout trop peu de patients pour quantifier les risques dus aux effets secondaires » (D.R., p. 161). Dès lors, rien d’étonnant à ce qu’une contre-expérience (l’essai britannique Recovery), qui elle respecte les règles expérimentales et s’appuie sur des nombres « significatifs » (autrement dit, qui permettent de calculer des intervalles de confiance à partir de tests statistiques) soit en contradiction absolue avec les conclusions de D. Raoult : « Après 28 jours de traitement, il n’y a aucune différence entre le premier groupe (1542 patients) soignés à l’hydroxychloroquine et celui (3132 patients) qui a bénéficié des soins standards. « Ça ne marche pas ! » résume à Oxford l’un des dirigeants de l’essai. Ça ne marche pas, confirment toutes les études qui se succèdent les unes après les autres » (D.R., p. 221).

Je ne voudrais pas aller plus loin dans une analyse forcément indigeste et j’en resterai là. Simplement voudrais-je signaler deux points.

Le premier est que la méthode scientifique a été justement élaborée depuis plus de deux siècles pour pouvoir évaluer la véracité des phénomènes qu’elle étudie ; et que tous ceux qui pensent pouvoir s’en passer prennent le risque de voir leurs résultats complètement faux, et plus représentatifs de l’opinion de celui qui les donne que de la réalité.

Le second est que la question posée au début de cette analyse n’a pas de sens. On ne peut pas être « contre » la science, comme on ne peut pas être « contre » la vie, la nature ou l’univers. Il est démontré que la terre est ronde, et que l’on soit « contre » ce « résultat scientifique » ne changera rien à sa réalité.  La science n’est pas le fruit d’une simple intuition, même venant d’un génie. Les résultats scientifiques (quand ils viennent d’expériences et d’observations sérieuses et soigneusement vérifiées) ne sont pas des opinions : ils sont l’expression décryptée (et généralement simplifiée) de phénomènes objectifs. De ce fait, puisqu’ils découlent de domaines indépendants, l’application des recommandations qui accompagnent leurs résultats n’est en aucun cas obligatoire pour le politique, au contraire de ce que l’on a l’air de croire : ce dernier doit les prendre en compte, peser leurs conséquences avec la plus grande attention, mais ses choix se font dans une autre dimension. C’est de cela que je voudrais parler ensuite.

(à suivre)

François GERLOTTO

 

[1] Editions Gallimard, 2021

[2] Le terme “significatif” a un sens précis en statistique : il correspond au seuil de véracité que choisit le chercheur et au-dessus duquel il conclut que son expérience est probante. On parle d’un seuil de signification de 90 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163}, par exemple, lorsqu’il est statistiquement confirmé qu’il y a neuf chances sur dix que l’hypothèse testée soit juste. On utilise en général les termes « significatif » pour un test qui passe la barre des 95 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de réponses positives, et « hautement significatif » lorsque le seuil est fixé à 99 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163}. On comprend alors que dans cette citation du Dr Raoult, le terme « significatif » n’a aucun sens.

[3] Cela a été le cas d’une étude entreprise par le journal médical The Lancet (D.R., pp 214-220), la première à « étriller » D. Raoult, qui s’est avérée complètement fausse (peut-être volontairement ?). Au moins peut-on accepter la validité de cette méthode de validation par les pairs, qui aura pu « réfuter » le travail du Lancet comme celui du Dr Raoult.

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