Chronique 73 : Jacques Julliard, les élites et le peuple

Mar 13, 2013 | Chronique politique | 2 commentaires

Tous ceux qui s’interrogent sur la nature et les effets des protestations populaires en Europe liront avec une attention toute particulière l’éditorial que Jacques Julliard a publié dans Marianne le 2 mars (1). Pour lui, les élections italiennes sont « terribles » car « le mauvais populisme » a emporté presque 55{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de l’électorat dans un mouvement qui se répand dans toute l’Europe – où l’on voit les nouvelles formations d’extrême droite cultiver avec succès le rejet de l’Union et l’antiparlementarisme. Dans une parenthèse, Jacques Julliard affirme qu’il y a aussi un bon populisme sans donner plus de détail. La définition du mot s’en trouve d’autant plus obscurcie qu’il s’indigne des arguments similaires – à l’exception de l’immigration – développés par Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon dans une récente émission télévisée (2). « C’est précisément lorsque les thèses de l’extrême gauche ne se distinguent plus de celles de l’extrême droite que le populisme – cette caricature fascisante de la démocratie – commence à poindre ». C’est là un trait polémique car Marine Le Pen développe le thème protectionniste et milite pour la sortie de l’euro alors que Jean-Luc Mélenchon ne conteste pas la « monnaie unique » et continue de rêver à « l’Europe sociale » comme substitut au vieil internationalisme prolétarien.

Pourtant, Jacques Julliard reconnaît au paragraphe précédent que les élites se sont constituées en caste et qu’elles ont « une complicité profonde avec un système capitaliste et bancaire devenu fou ». Or le populisme est bien une dénonciation radicale des élites, qui s’accompagne maintenant d’un rejet de l’Europe ultralibérale et de la mondialisation capitaliste (3). En ce sens, le Parti communiste de la grande époque était populiste et remplissait sagement sa fonction tribunicienne. Et Jacques Julliard, qui fustige les élites et le capitalisme, peut être considéré comme populiste à ceci près qu’il se méfie des tribuns de la plèbe et de la glorification du peuple en une pure essence. Faut-il par ailleurs rejeter dans l’enfer populiste tous ceux qui dénoncent l’ultralibéralisme et l’euro ? Avant la bataille, il me paraît nécessaire de situer le terrain, de définir l’adversaire et d’identifier les groupes qui manœuvrent.

Sur le terrain déserté par le Parti socialiste, la bataille qui se prépare oppose des classes et des groupes humiliés et appauvris à une oligarchie au sein de laquelle se retrouvent les apparatchiks de la droite et de la gauche – Verts compris –  le haut patronat, le milieu financier, les dirigeants du système médiatique.

Les adversaires de l’oligarchie sont divisés et dispersés :

Le Front de gauche voudrait représenter un socialisme aux couleurs révolutionnaires ; il mobilise une partie de la contestation sociale et ignore la réaction patriotique. Il est victime du sectarisme et du passéisme de sa direction.

Les gaullistes regroupés autour de Nicolas Dupont-Aignan sont cohérents mais marginalisés à cause de cette cohérence qui leur interdit toute alliance avec les partis oligarchiques.

Le Front national prétend réunir dans un même discours le nationalisme xénophobe, la contestation sociale et l’affirmation « identitaire » face à un islam diabolisé. Ce discours attrape-tout est électoralement rentable mais le Front national est un parti faible et divisé que sa présidente n’a toujours pas réussi à unifier.

Les gaullistes de gauche, les royalistes de la NAR, des socialistes et des communistes qui s’étaient retrouvés en 2001-2002 au Pôle républicain et maints économistes hétérodoxes ont en commun nombre de projets mais restent dispersés et presque invisibles sur le terrain politique.

Le syndicalisme de résistance (la CGT, Force ouvrière) qui est tout de même plus crédible que le Front national pour accompagner et orienter la contestation sociale – mais qui reste bien entendu sur le terrain de la lutte revendicative.

Ces divisions vont perdurer et c’est pourquoi je propose de conserver à chaque groupe contestataire son étiquette au lieu de jeter tout le monde dans le chaudron populiste – qui peut seulement accueillir le lepénisme classique ou évolutif. Cela ne signifie pas qu’il faille se résigner à subir la succession des différents groupes et personnages de l’oligarchie qui jouent depuis longtemps de l’hétérogénéité de leurs adversaires. Tout comme Jacques Julliard, je veux sortir de l’impasse et souhaite un « rassemblement populaire » qu’il situe dans le mouvement de l’histoire nationale : « En 1945, le capitalisme français a reculé pour trente ans parce que la société française, dans ses profondeurs et dans toutes ses catégories, s’était dressée contre ses absurdités et lui avait imposé un compromis rationnel ». N’oublions pas que les grands patrons ont courbé l’échine après la guerre parce que beaucoup parmi eux avaient trahi. N’oublions pas que le « compromis rationnel » a été imposé à la suite de la victoire militaire de la France combattante. Cela dit, je souscris à la conclusion de Jacques Julliard : « Il faut revenir aux sources de ce rassemblement national. Ce n’est pas la Résistance qu’il faut refaire, c’est la Libération ».

Proclamer la Résistance dans un pays qui n’est pas sous la botte et où personne n’est exposé à la torture et à la déportation, c’est se livrer à une parodie. Mais s’inspirer de l’œuvre accomplie à la Libération, reprendre ce mouvement authentiquement révolutionnaire pour le porter encore plus loin, c’est offrir au peuple français une perspective politique. Malgré les difficultés de la tâche, il n’y a pas à hésiter.

***

(1) Jacques Julliard : « Ne poussez pas le peuple à bout ! », Marianne, du 2 au 8 mars 2013.

(2) France 2 : « Des paroles et des actes », jeudi 28 février.

(3)  Pour une mise au point sur la question du populisme, cf. Laurent Bouvet, Le sens du peuple, Gallimard, 2011 – chapitre 6.

N.B. Je prolongerai les remarques ci-dessus par une présentation de la récente note de Jacques Sapir : « Vers une crise de régime ?» à lire sur http://russeurope.hypotheses.org/1007

 

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2 Commentaires

  1. Jacques Payen

    Il n’y a pas à hésiter , en effet.
    Nous sommes bien en guerre. D’autant plus éprouvante qu’elle est sournoise.

    Une guerre des classes.
    Classe des « dominants » contre classe des humiliés.

    Dominants : ceux de la finance, de « l’expertise », du patrimoine,de la sphère politico-médiatique etc…

    Humiliés : ceux que fragilise la remise en cause de notre Contrat social, travailleurs précaires, demandeurs d’emplois, jeunes, retraités etc.

    Mais on ne fera pas « courber la tête » aux dominants si aisément.
    Il y faudra une circonstance majeure.

  2. OLIVIER COMTE

    Le camarade Julliard doit, de toute urgence, recevoir un
    Doctorat honoris causa, je parle d’un Doctorat de médecine.
    Le camarade Julliard a découvert l’ existence d’un bon populisme et d’un mauvais populisme qui reproduiraient, peut être les effets du cholestérol et du « bon » cholestérol (H.D.L.).
    Il reste à trouver, pour notre intrépide publiciste, les conditions de la création du populisme H.D.L.

    Bertrand Renouvin rappelle justement que le PCF remplissait sagement sa fonction tribunicienne. Sagement car le Parti
    disposait de nombreuses organisations secondaires pour instruire et guider ses adhérents/sympathisants, évitant
    tout mouvement spontané de rage ou de poujadisme.
    Maurice Thorez avait justement refusé toute participation au gouvernement de Front Populaire, déclarant que le PCF
    avait le « ministère des masses ».

    L’oligarche dominante ne montre que du mépris pour les Français. Une réaction désespérée, qui s ‘enivrerait de sa propre violence, pourrait conduire à un fascisme de fait.
    Par nature, le fascisme, malgré ses discours, ne peut conduire à une révolution. Cette borne infranchissable rend tout mouvement fascisant particulièrement dangereux.

    Je voudrais revenir à ce mouvement, agité par de nombreuses cuillères, du peuple contre les élites.
    Pour une époque, les élites avaient un sens: hauts serviteurs de l’ Etat et serviteurs apparents de la richesse nationale.
    Aujourd’hui, les élites que l’on nous oppose sont les politiciens et les journalistes. Etranges chiffons rouge créateurs naturels de taureaux enragés.

    M. Payen parle justement de guerre de classes.
    Historiquement, on a voulu ignorer que cette guerre est un état naturel des propriétaires des moyens de production
    contre la classe ouvrière. Non une perversion égoïste des riches contre les pauvres ou la manipulation politique de la jalousie des pauvres contre les riches.
    Cette guerre de classes, décrite par M. Payen, est exacerbée par le caractère artificiel des richesses et des pouvoirs; elle est toujours plus enflammée pat la haine des dominants contre les dominés.