Chronique 48 :Le pire est devant nous

Déc 12, 2011 | Chronique politique, Union européenne | 1 commentaire

Au lendemain du sommet européen des 8 et 9 décembre, Le Monde fait écho à l’optimisme qui règne chez les oligarques : « Crise de la zone euro : et si le pire était passé ? ». Au début de son article, Arnaud Leparmentier ose l’écrire : « le pire est passé ». Et d’expliquer que les Français et les Allemands sont revenus sur les décisions prises à Deauville en octobre 2010. L’Allemagne voulait alors que les banques participent au sauvetage de l’euro ; il n’en sera désormais plus question car les mesures prises à l’égard de la dette grecque demeureront l’exception. La Grande-Bretagne ayant été éjectée, Angela Merkel peut imposer son dogme budgétaire avec le concours empressé de Nicolas Sarkozy : la « règle d’or » de l’équilibre devra être inscrite dans les constitutions des pays signataires de l’accord – selon des modalités qui seront contrôlées par la Cour européenne de justice – et des sanctions automatiques seront appliquées aux Etats déficitaires. De plus, les Etats devront définir en commun leurs orientations économiques et bénéficieront l’année prochaine du Mécanisme Européen de Stabilité. Certes, Arnaud Leparmentier reconnaît que les mécanismes européens de sauvetage sont trop faibles et que la Banque centrale européenne s’occupe de sauver les banques sans venir en aide aux Etats. Certes, le journaliste tempère son propos initial en écrivant que « l’Europe est encore très vulnérable et les soubresauts jugés inéluctables » mais il se réconforte en concluant que « les Européens savent désormais à peu près où ils habitent. Une condition indispensable pour rassurer les investisseurs, soucieux de savoir, eux, où ils mettent les pieds ».

La dernière phrase confirme que le sommet européen avait pour principal objectif de « rassurer » les spéculateurs. Tel est bien le souci des signataires de l’accord, qui ont surtout voulu durcir les dispositions déjà prises (« paquet de six ») pour… durcir le Pacte de Stabilité. Mais il est présomptueux d’affirmer que nous, les Européens, savons désormais où nous habitons.

Nous habitons à l’intérieur d’une Union européenne régie par un traité conclu, ne l’oublions jamais, dans le parfait mépris du suffrage universel. Mais en mars prochain, nous habiterons dans une zone qui sera régie par un traité particulier – à moins que ce ne soit un accord intergouvernemental – qui organisera une gouvernance pour deux entités : les Etats-membres de la zone euro, les Etats qui sont hors de la zone euro. La Grande-Bretagne restera dans le cadre du traité de Lisbonne – peut-être avec un ou deux autres pays – et formera une troisième entité. Telle est en résumé la maison européenne que nous habitons.

Si l’on regarde maintenant du côté des gestionnaires de cette étrange maison, on recense des deux puissances motrice –la chancellerie allemande et l’Elysée en moteur auxiliaire – et des pouvoirs institués : le président du Conseil européen, la présidence tournante européenne, le président de la Commission européenne, le président de la zone euro, le président de la Banque centrale européenne, la Cour européenne de justice – j’allais oublier le Parlement européen qui compte pour du beurre et l’aimable lady qui est censée s’occuper des relations extérieures de l’Union. Comme les peuples ne sont plus consultés sur les traités au motif qu’ils les rejetteraient, le « déficit démocratique » dont on parle depuis au moins vingt ans est devenu abyssal.

Comme ces gestionnaires sont en train d’édicter des règles qui vont s’imposer aux parlements nationaux, il est normal qu’on s’interroge sur la pertinence des dispositions prises ou à prendre. Or, n’en déplaise à Arnaud Leparmentier, je ne vois rien de rassurant. C’est l’absurdité qui règne, à tous égards.

Absurdité numéro 1 : nous voyons en ce moment même que la tentative de réduction du déficit par des mesures d’austérité se traduit par la récession. L’accord européen du 9 décembre, comme les précédents, aura pour conséquence l’aggravation de la crise économique dans la zone euro.

Absurdité numéro 2 : le déficit est en partie provoqué par la crise financière de 2008. La gouvernance européenne cherche donc à effacer les conséquences de la crise sans jamais remonter à ses causes : libre échange, libre circulation des capitaux, spéculation des banquiers privés, financement de la dette publique par les banques, prophéties auto-réalisatrices des agences de notation…

Absurdité numéro 3 : punir un Etat en déficit, c’est opérer une saignée sur un organisme qui se vide de son sang. Sur ce plan l’accord européen du 9 décembre est tout simplement moliéresque.

Cela dit, admettons que les maîtres de l’Europe et Arnaud Leparmentier – entre autres journalistes dans la ligne – aient raison. Admettons que le Mécanisme Européen de Stabilité puisse agir efficacement avec 500 milliards d’euros alors que l’actuel fonds de stabilité (FESF) devait lever 1 000 milliards. Admettons que les banques soutenues par la BCE achètent de la dette et que les agences de notation maintiennent partout le triple A au vu des effets d’annonce sur la réduction des déficits. Admettons que l’euro soit effectivement sauvé dans les six mois grâce à l’action géniale de la Banque centrale européenne, à la vigilance de la Commission, à la discipline imposée par la Chancelière et scrupuleusement respectée par Nicolas Sarkozy comme par les juntes civiles qui sont au pouvoir en Italie et en Grèce. Admettons tout, pour mieux souligner que la ligne dogmatique des oligarques aura, alors, considérablement accru nos malheurs.

Les plans de rigueur et les thérapies de choc provoqueront une profonde récession dans la zone euro avec le risque d’une dépression par effets cumulés de la récession, de la paupérisation, de la restriction des investissements publics et de la libre concurrence.

Les Etats qui tenteront – vainement – de parvenir à l’équilibre budgétaire engageront des « réformes » de la Sécurité sociale et du marché du travail dans le sens de la flexibilité maximale, qui ruineront à terme les systèmes de protection sociale.

Bien entendu, les oligarques, leurs experts et les journalistes des principaux médias ne tiennent aucun compte, dans leurs anticipations optimistes, des peuples qui sont ou qui vont être durement frappés par les conséquences de leurs diktats. Ils parient que les protestations électorales seront limitées et estiment qu’ils peuvent contrôler les poussées nationalistes. Ils parient que les syndicats resteront prudents et que les partis socialistes se rallieront à la rigueur. La Grèce leur sert de laboratoire pour des expériences poussées et ils constatent que le peuple systématiquement matraqué ne parvient pas à chasser les oligarques locaux. La guerre de classes va s’intensifier. Les thérapies de choc vont se multiplier, qu’on tentera de faire admettre par l’humiliation,le mensonge et l’intimidation.

Ce ne seront pas les derniers mots de l’histoire.

Partagez

1 Commentaire

  1. CRIBIER

    En accord total avec cette analyse,l’on peut cependant dire
    également que l’obligation de parvenir à un équilibre budgétaire
    aux forceps nécessitera au moins pour les gouvernements sociaux
    démocrates d’entreprendre d’importantes réformes fiscales pour
    récupérer des recettes perdues, sans nécessairement casser le
    système de protection sociale ou rendre plus flexible le marché du
    travail.
    Ceci pour dire que dans le pire des cas,il resterait au moins cette
    perspective positive qui, sans ne rien résoudre pour autant, de
    manière fondamentale, à savoir se donner les moyens de la
    croissance et de l’emploi, permettrait au moins de discuter des
    moyens de réduire notre déficit budgétaire par l’augmentation des
    recettes sur tous les éléments des plus fortunés qui échappent à
    l’impôt, et non obligatoirement par la baisse des dépenses
    sociales.