Après avoir longtemps disserté sur la sortie de crise et sur l’efficacité du prétendu plan de sauvetage de la Grèce, les principaux médias sont maintenant obligés de laisser paraître, chaque jour un peu plus, des fragments de la consternante réalité. Le secteur bancaire est mal en point, la Grèce va faire défaut, la zone euro risque d’exploser.

La catastrophe en cours n’étonnera pas les lecteurs de « Royaliste » qui lisent aujourd’hui dans leur quotidien préféré un scénario écrit depuis plusieurs années par nos amis du courant hétérodoxe (1). Mais nous ne nous réjouissons pas d’avoir eu raison : le sacrifice des peuples aux dieux qui vont mourir – l’euro, le marché, le budget équilibré – est une folie criminelle que nous aurions voulu éviter. Hélas, personne en haut lieu n’a daigné écouter ceux qui, anticipant la crise, plaidaient et plaident encore pour des solutions raisonnables – plus précisément pour une sortie ordonnée de la zone euro. L’arrogance et la cupidité ont aveuglé les milieux dirigeants de droite et de gauche. Les voici, médusés, devant des effondrements qui dépassent la faible imagination de leurs éditorialistes préférés.

Ce n’est pas seulement l’euro qui s’effondre, mais l’essentiel du projet ultralibéral. La fameuse « forteresse euro » qui devait nous mettre à l’abri des tempêtes n’a jamais été autre chose qu’un mythe invoqué par quelques croyants et par des nuées de profiteurs acharnés à écraser les salaires et à liquider peu à peu la protection sociale.

Ce n’est pas seulement l’euro qui s’effondre, mais la « gouvernance européenne » dans son ensemble. On a présenté comme des avancées décisives l’institution en 2009 d’une présidence stable du Conseil européen et d’un « Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ». On cherche en vain, depuis lors, une preuve d’existence politique et diplomatique d’Herman Van Rompuy et de Catherine Ashton… Le président de la Commission européenne a lui-même disparu, victime de son inconsistance autant que des véritables rapports de force politiques. Un « ministre des Finances européen » connaîtrait le même sort tant il est vrai que c’est la chancelière allemande qui mène la barque en perdition.

Ce n’est pas seulement l’euro qui s’effondre mais la tentative fédéraliste conçue au lendemain de la guerre et que les soi-disant « pères de l’Europe » ont tenté de mettre en œuvre par divers moyens. Comme l’euro, voué à l’échec dès le début, le fédéralisme européen était un projet inepte mais exaspérant tant il a été martelé par ses idéologues. Nous n’avons cessé de rappeler la double impasse européiste : comme l’Europe se définit par les Etats nationaux qui la composent, le « dépassement des nations » signifiait la mort de l’Europe ; comme une fédération n’existe pas sans un fédérateur puissant, une Europe fédérale ne pouvait se constituer sans un pouvoir despotique. De fait, le semblant de gouvernance s’est appuyé sur la bureaucratie bruxelloise et a tenté de pousser en avant le projet fédéraliste en effaçant les résultats des référendums de 2005 en France et aux Pays-Bas puis en exerçant une contrainte inouïe sur l’Irlande. Ce déni de démocratie n’a servi à rien : le despotisme même pas éclairé se meurt dans la campagne sur les euro-obligations dont l’Allemagne ne veut pas ; il sera détruit par les révoltes populaires qu’il engendre d’un bout à l’autre de l’Europe.

Ce n’est pas seulement l’euro qui s’effondre mais l’ultra-concurrence : le débat sur la nationalisation des banques s’est ouvert dans la presse oligarchique et nous verrons bientôt se populariser le débat sur le protectionnisme européen, bien exposé dans maints ouvrages et dans de récents colloques.

Ce n’est pas seulement l’euro qui s’effondre mais le système oligarchique qui est dévoilé de manière toujours plus précise : les révélations sur les affaires et sur les affairistes confirment que l’oligarchie est une ploutocratie qui corrompt et qui est corrompue. Elle tente de sauver les apparences par le mensonge et le déni de réalité mais elle ne peut empêcher l’autodestruction du système dont elle a scandaleusement profité.

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(1) cf. par exemple la note de Jacques Sapir sur « L’agonie de l’euro » publiée sur mon blog : https://bertrand-renouvin.fr/

Editorial du numéro 997 de « Royaliste » – 2011

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