Ce n’est qu’un début – décembre 2010

Déc 20, 2011 | la lutte des classes

Dans l’analyse de la crise, nous risquons à tout moment de prendre nos ambitions militantes pour le mouvement effectif de l’Histoire. D’où l’indispensable vigilance à l’égard de nous-mêmes. Ne pas verser dans le triomphalisme parce que des foules se sont mises en marche. A l’inverse, ne pas se laisser gagner par un sentiment d’impuissance au vu de rapports de force encore défavorables. Ces rapports ne sont pas figés et il faut tenir compte de leurs évolutions possibles. Objectivement, le général de Gaulle n’est rien lorsqu’il arrive à Londres en juin 1940 ; la Résistance française ne pèse rien face à la puissance de feu de l’armée allemande ; le soldat qui défend un bout de terre gelée devant Moscou peut se dire que les quelques coups de fusils qu’il tire ne décideront en rien du sort de la bataille. La victoire fut possible parce que chacun avait accompli sa tâche à la place qui lui était assignée.

Ce sont ces exemples qu’il faut opposer à la propagande oligarchique qui voudrait nous convaincre que manifester ne sert à rien et qu’il est inutile de contester les décisions des dirigeants puisque « les gens » sont résignés. Avec quelques mois de recul, on s’aperçoit que la résignation des Grecs n’est qu’apparente puisqu’ils ont désavoué le gouvernement socialiste par une abstention massive aux élections municipales – et nul ne s’attendait à ce que notre mouvement contre la réforme des retraites soit aussi puissant.

Les choses sont rentrées dans l’ordre ? Telle est bien l’apparence. Mais ce sont maintenant les étudiants anglais qui se révoltent, avec une violence surprenante. Leurs camarades des Pays-Bas sont en train de se mobiliser, en vue d’une manifestation nationale le 21 janvier à La Haye. En Italie, de très nombreux manifestants sont descendus dans la rue pour dénoncer Silvio Berlusconi et son gouvernement moribond.

Ces mouvements n’ont pas un caractère révolutionnaire mais ils peuvent déjà contribuer à la défaite d’un gouvernement (en Italie, en Irlande) ou à son discrédit (en France, en Grèce). Les partis et les syndicats qui participent à ces luttes n’ont pas de programme commun mais un point fondamental est acquis : partout en Europe, les citoyens refusent de payer pour la cupidité des banquiers et pour la complaisance des dirigeants politiques. De manière simple ou très élaborée, l’ultralibéralisme est mort dans les esprits. L’incapacité des prétendues autorités de Bruxelles et de Francfort face à la crise conduit au rejet de l’Union européenne et annonce le refus d’un euro qui est de plus en plus associé à la violence des mesures de rigueur. Et Dominique Strauss-Kahn, glorifié par les médias français, n’est en Europe que le représentant détesté du FMI.

Ces réactions ne font pas une politique et il est possible que l’Europe soit secouée pendant des années par des colères qui resteront sans effets en raison de la mollesse des principaux syndicats et de l’absence d’alternative politique aux oligarques de droite et de gauche. Telle est la situation en France où les libéraux de gauche s’apprêtent à remplacer les libéraux de droite, en Espagne et en Grèce, où des socialistes soumis à la BCE et au FMI sont au pouvoir – tandis qu’en Grande Bretagne le travaillisme discrédité par Anthony Blair ne peut s’opposer sérieusement aux ultralibéraux.

Ces impasses politiques peuvent conduire à des réactions de désespoir que les partis xénophobes de divers pays européens s’empresseront d’exploiter. Nous sommes évidemment confrontés à ce danger en France : Marine Le Pen est en train de marier habilement la propagande xénophobe et antimusulmane du Front national à une thématique qui porte sur la dénonciation de l’euro et sur la nécessité du protectionnisme. La gauche est incapable de répliquer à cette offensive qui panique la droite : nous allons encore perdre du temps à disserter sur des fantasmes et, de plus, nombre de propositions économiques et monétaires sensées seront discréditées parce qu’elles figureront sur les affiches du Front national.

Pour conjurer ce péril, il faudrait que les dirigeants politiques et syndicats s’intéressent enfin au programme commun déjà élaboré, qui permettrait de déborder les démagogues de tous bords. Pour le moment, c’est un vœu pieux.

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Editorial du numéro 981 de « Royaliste » – 2010

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