Chronique 4 : Obama : cet homme pourrait être dangereux

Avr 18, 2009 | Chronique politique | 4 commentaires

Dans une courte lettre qui accompagne l’envoi de son dernier livre (1), Albert Jacquard m’incite à reprendre le débat sur la dissuasion nucléaire.

Ce n’est pas la première fois ! Depuis bientôt quarante ans, nous avons souvent fait cause commune contre les racistes et contre les ultralibéraux. Mais la doctrine militaire de la Nouvelle Action royaliste désole ce pacifiste militant, qui espère, à chaque tournant de l’histoire, que nous changerons de position. Or nous sommes restés partisans du maintien et de la modernisation de notre force nationale de dissuasion après la chute du mur de Berlin et ce ne sont pas les derniers évènements diplomatiques et militaires qui nous feront changer d’avis.

Obstination dangereuse ? Je crois au contraire que le danger vient du pacifisme, mais je voudrais faire une distinction entre la diplomatie et le discours pacifistes qui n’est pas faite pour ménager un ami que j’admire.

Le discours pacifiste sur le nucléaire n’est pas inquiétant. Au contraire, il oblige à renforcer la posture dissuasive dès qu’il y a campagne pour le désarmement nucléaire car un chef d’Etat digne de ce nom ne peut laisser planer aucun doute sur sa détermination. La crédibilité de la dissuasion nucléaire repose sur le système d’armes et sur la stratégie que nous connaissons mais aussi et surtout sur l’incertitude dans laquelle l’agresseur potentiel est tenu : le président de la République, chef des Armées, décidera-t-il, de déclencher le feu nucléaire ? L’adversaire est incapable de mesurer sa détermination – que l’unité du peuple renforce. Dès lors, le risque, terrifiant, n’est jamais à la hauteur de l’enjeu.

La diplomatie pacifiste a été et demeure dangereuse. Dans sa lettre, Albert Jacquard me rappelle que Valéry Giscard d’Estaing avait déclaré qu’il n’appuierait jamais sur le fameux «bouton ». Nous étions alors en situation de guerre froide, confronté à un risque du côté soviétique. Or le président de la République détruisait lui-même la crédibilité de notre riposte et exposait la France à des pressions qui auraient pu être redoutables. Ce personnage à tous égards calamiteux aurait dû se souvenir de la réplique du général de Gaulle à l’ambassadeur d’Union soviétique venu l’informer du risque nucléaire que prenait la France en soutenant les Etats-Unis dans l’affaire de Cuba : « Eh ! bien, Monsieur l’ambassadeur, nous périrons ensemble ! »…

Nous sommes aujourd’hui dans une situation très différente mais la logique de la dissuasion nucléaire n’a pas changé. Quoiqu’en dise Barack Obama, Paris n’est pas sous la menace d’un tir nucléaire. Mais nous ne savons pas comment évolueront les grandes puissances dans les trente prochaines années. Imaginons l’élection à la présidence des Etats-Unis d’un impérialiste surexcité qui voudrait faire main basse sur les Antilles (avec l’intention de soumettre ces îles au régime de l’économie mixte, casinos et bordels, comme Cuba au temps de Batista) et qui nous menacerait d’atomisation. Il nous faudrait rappeler que les fusées embarquées sur nos sous-marins peuvent vitrifier les principales villes américaines – parmi lesquelles Washington. Voilà qui ramènerait le calme dans l’esprit du locataire de la Maison Blanche… Au contraire, l’abandon de notre force de dissuasion nucléaire nous obligerait à sacrifier des dizaines de milliers de soldats dans de classiques opérations de guerre qui provoqueraient d’innombrables morts dans la population civile.

Ce scénario noir montre que, dans notre monde multipolaire, l’atome garde la « vertu rationalisante » (2) qu’il avait acquit pendant la confrontation américano-soviétique. La dissuasion nucléaire a évité la guerre entre les deux grands empires et elle nous a permis de vivre en sécurité car nous mettions en jeu la dissuasion du faible au fort : une attaque nucléaire soviétique de notre territoire entraînait la destruction totale de Moscou, de Leningrad, de Kiev… C’était trop cher payer.

Insoutenable pari ? Il a été gagné. Chantage immoral ? Le discours sur la mort qui préserve la vie de millions d’individus est au contraire d’une très haute moralité – puisqu’il assure concrètement la paix. Cela vaut pour notre époque : si par pure hypothèse une fusée à tête nucléaire quittait le sol iranien, Téhéran serait effacé de la carte quelques minutes plus tard. Même pour le plus exalté des islamistes, ce serait là encore trop cher payer. Mais qu’on ne reproche pas aux Iraniens de toutes tendances de vouloir assurer leur sécurité : ils savent le coût humain d’une guerre classique.

Les pacifistes français avaient permis de tester la réactivité des dirigeants français au temps de la guerre froide : à un Giscard près, elle fut excellente. Mais Nicolas Sarkozy s’est replacé sous le parapluie américain et il serait inquiétant que les pacifistes français reprennent la chanson du désarmement nucléaire total, chantée à Prague le 5 avril dernier par le président Obama.

Bien entendu, il faut éviter la prolifération nucléaire. Bien entendu, les très grandes puissances peuvent réduire dans des proportions importantes leurs propres arsenaux sans mettre en cause leur sécurité (2). Mais le président Obama voudrait inclure dans le nouveau traité de réduction des armes stratégiques « tous les Etats dotés de l’arme nucléaire ». Alignés depuis longtemps sur les Etats-Unis, les Anglais ont accepté le projet américain. La France, qui assure par elle-même sa défense avec très peu d’armes nucléaires, ne peut accepter un tel marché qui présente un risque, inacceptable, pour notre collectivité nationale.

Il faut se préparer à opposer un NON définitif à Barack Obama. Le retour complet de la France dans l’Otan et le culte voué à Barack Obama dans les médias français ne faciliteront pas cette campagne salutaire.

***

(1) Cf. Albert Jacquard, Le compte à rebours a-t-il commencé ?, Stock, 2009.

(2) L’expression est du général Poirier. Entretien accordé au « Monde » le 27 mai 2008.

(3) Cf. l’article d’Yves La Marck : « Libres de toutes peurs » dans le numéro 946 de « Royaliste ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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4 Commentaires

  1. Christian

    Bonjour,
    Lors du contre-sommet de l’OTAN à Strasbourg, quelqu’un a dit lors d’une conférence qu’un des buts futurs des Etats-Unis était une guerre contre la Russie et/ou la Chine. Pour l’instant une telle guerre est impossible, tant que ces deux pays auront un arsenal nucléaire, car la riposte coûterait trop cher aux Etats-Unis. Le désarmement nucléaire préconisé par Obama serait donc le prélude à une guerre conventionnelle. Que pensez-vous de cette théorie… peu conventionnelle?

  2. François G

    Globalement d’accord avec cette analyse, à un détail prêt: « l’incertitude dans laquelle l’agresseur potentiel est tenu ». La dissuasion peut en effet être vue comme un bluff, une espèce de poker dans lequel l’ennemi jauge la détermination (la main) de celui qu’il veut combattre. Il est donc essentiel d’être crédible et ne pas laisser la place au doute chez l’ennemi. L’incertitude doit rester intérieure (finalement on ne saura jamais si De Gaulle ou Kennedy auraient appuyé sur le fameux bouton), mais ne doit pas effleurer à l’exterieur. De Gaulle et Mitterrand étaient crédible, Giscard non, comme vous le signalez. Chirac, en poursuivant des essais nucléaires malgré une pression internationale très forte, avait montré sa détermination, il était crédible. Le grand problème avec notre président actuel, c’est qu’on est dans l’incertitude la plus complète. Lui-même a-t-il réfléchi une seconde à cette question ? On peut en douter étant donné ses commentaires lors du sommet de l’OTAN. Or s’il y a doute il y a tentation de risquer le coup.
    L’Iran. Je ne suis pas le moins du monde expert dans la politique de ces régions, mais j’avoue que si j’étais iranien, même dans l’opposition démocratique, je serais un partisan de l’arme nucléaire : l’Iran est la seule vraie grande puissance régionale, c’est un grand pays avec une longue histoire, et il est entouré d’états instables et de pays, parfois les mêmes (le Pakistan, l’Inde, Israël, combien de républiques ex-soviétiques?), qui possèdent l’arme nucléaire. Imaginons la France dans cette situation. Je n’ai pas de solution ni même d’idées sur ce point, mais je sais que l’on ne pourra pas obliger l’Iran à se passer de force de frappe sans de très importantes contreparties et assurances.

  3. Catoneo

    Si la dissuasion est un bluff hasardeux, son modèle dit « du faible au fort » est une bulle de savon, créée par les thuriféraires du Général pour flatter son égo démesuré malgré l’impécuniosité d’un pays à la traîne dans tous les compartiments du jeu. Je ne cesse de m’étonner que les royalistes aient marché dans cette foutaise.

    Vous résumez parfaitement bien la doctrine d’emploi et chacun peut mesurer sa puérilité puisqu’elle n’est pas déployée en situation, ni par vous, ni par ses promoteurs. Laissons tomber l’incinération de New York contre la bordélisation des Antilles françaises !

    Pensez-vous que le « faible » ait jamais été dans le passé, à l’époque de la décision gaullienne de dissuader par le nucléaire, confronté au « fort » comme ça, un beau matin ? Pouvions-nous être pointés du doigt par l’un des deux mastodontes, la France seule vitrifiée pour l’exemple, pour le caprice du satrape ?
    Non ! La mise en oeuvre des procédures atomiques ne pouvait s’imaginer que par notre implication dans un conflit Est-Ouest d’ampleur stratégique. La situation géographique de nuisance(1) de la France en Europe l’impliquait obligatoirement dans ce type de conflit, qu’elle le veuille ou non – comme la Belgique en 1939.
    A quoi aurait-il servi de menacer de nos feux Moscou, Léningrad ou Kiev avec une chance de convaincre l’URSS de nous épargner, alors que ces métropoles étaient déjà sous la menace de dizaines d’ogives américaines ?
    Quelles informations avions-nous sur leur programme de tir depuis que nous avions quitté les commandements intégrés. Aucune !
    Allions-nous ouvrir les capots d’Albion sans connaître l’état d’avancement du marchandage russo-américain ? Des deux détenteurs d’ogives par milliers qui cherchaient à perpétuer le poker menteur, lequel nous aurait donné l’heure ? Pire, qui nous aurait neutralisé préventivement pour stopper l’interférence du nain dans le schmilblick gigantesque ?

    Le cadre d’emploi gaulliste était limité aux principes ; il n’a jamais convaincu nos alliés dans une simulation de sa mise en pratique ; un cadre de guerre perso, choisi par l’Elysée en fonction de notre complète indépendance de décision (?!). C’était un leurre démocratique destiné au bon peuple pour lui faire avaler la pilule du retrait des plans OTAN en pleine guerre froide, retrait qui nous laissait complètement à découvert avec des forces classiques obsolètes et impréparées. J’en étais.
    Albert Jacquard n’a pas complètement tort s’il dénonce le défaut d’axe de départ qui construisait une menace inutile. Quand à son monde des bisounours … laissons-le à ses rêves.

    Note (1): 600.000 km² d’espace aérien stérilisé entre les quatre mers ? Impensable.

    Néanmoins cette force de dissuasion existe. Il serait idiot de s’en défaire, car elle représente une menace crédible pour des pays à notre portée, déjà nucléarisés ou en passe de le devenir, et qui pourraient nous détester.
    Elle doit donc être maintenue en bon état jusqu’à ce que la sagesse des hommes l’emporte sur l’émotion de la terreur. En cela je rejoindrais la position de la NAr.

  4. Gérard G.

    Contrairement à ce que certains peuvent penser ici ou là, dans une traditionnelle entreprise de dévalorisation de la maison France et d’auto-dénigrement mortifère, la politique (nucléaire) gaullienne a pesé son poids de respectabilité durant la confrontation glacée entre les 2 grands et au-delà. De nombreux indices accréditent cette idée.
    Maintenant, bien sûr, en affirmant cela, on n’est pas dans une stricte démarche scientifique expérimentale. On ne refait pas l’Histoire pour voir ce que ça aurait donné !

    En son temps, beaucoup ont reproché à de Gaulle sa sortie de l’Otan en raillant les effets de la « bombinette », comparée à l’arsenal, certes impressionnant, des USA et de l’URSS. Pourtant, cette sortie, appuyée sur l’atome, a permis à notre pays de renforcer une autorité, une crédibilité, une indépendance morale et politique – notamment auprès des pays non-alignés – qu’un positionnement frileux sous l’illusoire « parapluie américain » n’aurait sûrement pas autorisées.

    La versatilité du ludion clinquant qui nous sert désormais de président, légitime toutes les craintes. Aujourd’hui, retour lamentable dans les antichambres de l’Etat-major de l’Otan permettant ainsi à quelques généraux d’étoffer un plan de carrière bureucratique en échange d’une vassalisation. Demain, abandon « raisonné » du feu nucléaire tricolore (tout comme on a abandonné, et continue de le faire, les ‘places fortes’ économiques au nom d’un libéralisme échangiste et fétichiste) au nom des milliers d’ogives rutilantes de l’oncle Sam ?

    En dépit du déférentiel colossal de moyens économiques et technologiques en notre défaveur, comment faire confiance, comment accorder la moindre once de crédibilité à la protection armée des intérêts français par le “grand-frère” américain ? Celui-là même qui, s’enfuyant la queue entre les jambes a laissé le petit sud-vietnam régler seul l’addition d’une bacchanale qui avait mal tourné.

    Dans la grande tradition anglo-saxonne, les intérêts patriotiques guident inflexiblement l’action politique étrangère. Les attitudes chevaleresques de sacrifice altruiste au profit d’alliés n’ont jamais été de mise. Il n’y a que des atlantistes niais, ou intéressés, pour croire un instant que les USA vont octroyer la moindre parcelle de décision au vassal repentant. Invité à payer de sa personne sur le terrain et donner des gages concrets de sa fidélité, sûrement. Entrer dans les secrets des dieux et peser sur des décisions vitales, sûrement pas !…

    Il est rien moins évident que si, par aventure, une France sans force de frappe, était devenue la proie, consentante ou non, des forces du pacte de Varsovie (ce qui n’était pas nécessairement un objectif de Moscou) l’Otan aurait ipso facto volé au secours de la France.

    Face au risque de retour balistique sévère, il y a, au contraire, fort à parier que autant l’opinion publique que les stratèges américains (si tel avait été leur intérêt propre) n’auraient pas tergiversé, abandonnant à leur sort funeste ces quelques arpents de bal musette et ce peuple de trublions aux prétentions indépendantistes agaçantes.