Face à la légende noire d’une France écrasée par la défaite et résignée à l’Occupation, un historien nous révèle le refus immédiat des pionniers de la Résistance, en communion avec le peuple français qui n’a jamais supporté la botte allemande.

Ces dernières années, la représentation dominante du début de la guerre donnait à imaginer les années 1940 et 1941 comme celle de l’écrasement, de l’adhésion massive et honteuse à Pétain, des Allemands corrects, de l’indifférence à l’égard de la poignée d’hommes engagés dans la lutte contre l’Occupant – le réseau antifasciste du musée de l’Homme, Honoré d’Estienne d’Orves et les étudiants du 11 Novembre 1940 ayant sauvé, sur le territoire national, l’honneur perdu de la France.

Il est vrai que des Français éprouvèrent un lâche soulagement après l’armistice, que beaucoup crurent un temps que le vieux maréchal serait salutaire et que les Résistants actifs ne furent jamais qu’une minorité. Mais les historiens doivent sans cesse reprendre le travail de leurs prédécesseurs, aller à la découverte des traces presque effacées, faire parler ceux qui avaient choisi de se taire, explorer les archives négligées.

Tel est le cas de Julien Blanc qui a fait son métier avec une grande rigueur méthodologique – son exposé introductif est remarquable à cet égard – et qui a eu la possibilité de s’entretenir longuement avec Germaine Tillion, sans rien perdre de son regard critique. Il en résulte un livre sur les commencements de l’activité résistante qui remet en cause les idées reçues – et parmi elles les plus sombres.

Non, à cette époque les Français ne furent pas un peuple de lâches. La défaite fut un choc inouï, il y eut des aveugles volontaires et des collabos mais des témoignages trop négligés et les archives françaises et allemandes nous disent qu’il y eut un rejet immédiat des Allemands, une résistance muette (ne pas regarder les soldats ennemis, ne pas répondre à leurs questions), une floraison d’actes minuscules de désobéissance, une multitude de « V » tracés sur les murs à la demande de la BBC – puis, très vite la constitution des premiers groupes où l’on confectionne des papillons et les premiers bulletins dactylographiés puis recopiés. Julien Blanc montre très précisément comment les premiers résistants se cherchent dans le Paris qui vient d’être occupé, commencent à se parler et se libèrent dans ces premiers échanges d’une souffrance inouïe, d’une angoisse littéralement affolante. Ainsi celles et ceux du musée de l’Homme – Germaine Tillion, Boris Vildé, Anatole Lewitsky, Yvonne Odon – que nous suivons dans toutes les phases de leur engagement.

Non, les actes de résistance en zone occupée ne furent pas des gestes isolés et négligeables. Les Allemands s’en inquiétèrent très vite et leurs représailles furent impitoyables. Dix mois de prison pour une phrase jugée incorrecte à l’égard d’officiers allemands ; le poteau d’exécution pour le garçon de ferme qui avait endommagé des câbles téléphoniques de l’armée… Et la Wehrmacht ne fut pas « correcte » : dès les premiers jours, crimes de guerre et exactions en tous genres suscitèrent la haine que décupla la répression.

Non, le réseau du musée de l’Homme ne se définit pas par l’antifascisme de scientifiques de gauche. Comme tous les autres groupes et mouvements en formation, il échappe aux classifications sociales, professionnelles et politiques. La première résistance est faite par des intellectuels qui ne se conçoivent pas comme tels puisqu’ils sont plongés dans l’action, par des ouvriers, des militaires, des nobles, des moines, des monarchistes, des socialistes, des gardiens de la paix, des communistes… C’est pour la patrie qu’ils se mobilisent mais le gaullisme n’est pas encore défini, le Maréchal apparaît aux yeux de beaucoup comme un bouclier prestigieux et la relation des uns et des autres à l’histoire de France n’est pas univoque. Tous sont unis dans l’espérance qui se renforce dans les prisons, avant le peloton d’exécution ou la déportation, malgré les trahisons et la supériorité écrasante de l’ennemi.

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(1) Julien Blanc, Au commencement de la Résistance, Du côté du musée de l’Homme – 1940-1941, Seuil, 2010.

Article publié dans le numéro 987 de « Royaliste » – 2011

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