Prendre appui sur l’ensemble des principes proclamés à la fin de la deuxième guerre mondiale pour réorganiser le monde et reconstruire les nations mises en péril pour l’ultralibéralisme : telle est la méthode recommandée par Alain Supiot.

Voici une nouvelle critique salutaire. Critique décisive, qui contribue à la pulvérisation de l’ultralibéralisme encore défendu par maints « experts » médiatisés. Critique en vue du salut, au sens gaullien du terme : éminent professeur de droit, chercheur proche de Pierre Legendre, Alain Supiot nous offre à son tour les éléments d’un programme de reconstruction fondée sur un socle juridique déjà entériné par les Nations unies (1).

Quant à l’ultralibéralisme, Alain Supiot reprend maints aspects de la critique classique de cette idéologie mais insiste à juste titre sur l’influence de Hayek, apôtre de l’ordre spontané du marché et ennemi de la justice sociale qui a inspiré par divers épigones Margaret Thatcher et Reagan et justifié l’accaparement des richesses collectives par le haut patronat et les banquiers. Il souligne aussi la revanche politique prise par le patronat et une large fraction de la droite, qui sont en train de liquider le programme du Conseil national de la Résistance.

Surtout, Alain Supiot insiste sur la perversité profonde de l’ultralibéralisme qui apparaît de plus en plus nettement comme une formidable entreprise de subversion des valeurs et principes de notre civilisation européenne, comme une destruction méthodique des fondations et des structures qui assurent l’existence des nations et de leurs citoyens :

Le Droit en tant que tel est réduit à une multitude de droits subjectifs : « On distribue à tous les mêmes droits individuels comme on leur distribuerait des armes et l’on espère faire ainsi advenir une société entièrement contractuelle où il n’y aurait d’obligation que consentie ». Or tout le droit social s’était construit sur la mise en doute méthodique d’un libre consentement du faible à la volonté du fort. Dans le même temps, il y a mise en compétition, également ravageuse, des droits nationaux – le plus compétitif étant celui qui accorde la plus faible protection sociale.

La fonction publique, « colonne vertébrale », de la France est soumise à l’idéologie gestionnaire et les services publics sont détruits par privatisation directe.

La finalité traditionnellement assignée à l’argent est inversée : on laisse quelques uns thésauriser pour spéculer au lieu de distribuer selon la justice sociale. Alain Supiot invoque Aristote et reprend l’injonction de Francis Bacon : « Le gouvernement doit prendre des mesures pour éviter que tout l’argent ne s’accumule en un petit nombre de mains […] ; l’argent, comme le fumier, ne fructifie que si on prend soin de le répandre ».

La réalité sociale de l’entreprise est radicalement niée par les patrons qui se flattent de faire vivre « leurs » employés. C’est tout le contraire qui se produit comme le faisait remarquer l’évêque Adalbéron de Laon au roi de France vers l’an mil : « Le maître est nourri par le serf, lui qui prétend le nourrir. Et le serf ne voit point la fin de ses larmes et de ses soupirs ».

Les marchés réels, qui sont tous des marchés institués, sont finalement détruits par la logique spéculative du Marché total et les absurdités de la gouvernance par les nombres qui disqualifie les êtres et les conduit à se supprimer.

Il y a une énorme régression du gouvernement par la loi au gouvernement par les hommes : le pouvoir souverain institué comme Tiers qui gouverne selon la Loi imposée à tous les citoyens s’efface devant un suzerain qui ne connaît que des vassaux et des réseaux clientélistes. Telle est la logique des contrats passés entre l’administration et des opérateurs privés et, surtout, telle est la conséquence du Droit communautaire soumettant les Etats nationaux comme autant de puissances féodales.

Que faire ? Alain Supiot propose une méthode simple et rigoureuse qui nous est familière : s’appuyer sur les principes fondamentaux affirmés à la fin de la guerre et à la Libération pour reconstruire le monde et ses nations. Nous invoquons tous le programme du Conseil national de la Résistance, Jacques Nikonoff nous a permis de redécouvrir la Charte de La Havane, Alain Supiot nous donne à lire ou à relire la Déclaration de Philadelphie concernant les buts et objectifs de l’organisation internationale du travail. Affirmation de principes, selon l’expérience terrible des deux guerres mondiales, qui font référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme : la dignité humaine comme fondement, la Liberté liée à la sécurité économique, la justice sociale comme finalité, l’économie et la finance comme moyens.

C’est sur ce socle qu’une reconstruction doit se faire. Le recours aux textes juridiques fondamentaux évite les bricolages idéologiques et les plates répétitions : nous ne revivrons pas les Trente Glorieuses, pas si belles qu’on le dit, mais l’esprit de Philadelphie nous permettra de rétablir le régime du Droit, de rendre à l’Etat ses fonctions éminentes, de rétablir le lien entre loi et représentation, de donner à chacun les moyens de sa liberté d’action, de convertir les rapports de force en rapports de droit par l’organisation, l’action et la négociation collectives, de recourir au protectionnisme, d’agir en tout et pour tous selon la justice sociale…

Il faut lire et diffuser ce livre salutaire.

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(1) Alain Supiot, L’esprit de Philadelphie, la justice sociale face au marché total, Seuil, 2010.

Article publié dans le numéro 967 de « Royaliste » – 2010

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