Des aveux sur l’euro
Il y a un quart de siècle, le passage à l’euro fit l’objet d’un battage médiatique considérable et de déclarations politiques enthousiastes qu’il serait instructif de relire aujourd’hui. Ceux qui réclamaient un débat sur la prétendue “monnaie unique” étaient renvoyés au référendum sur le traité de Maastricht. La question avait été tranchée en 1992, nous disait-on, et il s’agissait désormais d’assurer la mise en circulation de la nouvelle monnaie.
Par la suite, l’euro devint une entité intouchable et les commentaires iconoclastes furent marqués du sceau infamant de l’extrémisme – alors qu’ils procédaient le plus souvent de thèses hétérodoxes solidement argumentées (1). Jusqu’en 2017, plusieurs partis et candidats préconisaient avec plus ou moins de ferveur la sortie de l’euro mais, après les bafouillages de Marine Le Pen face à Emmanuel Macron, ce fut la débandade. Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, qui s’égara dans ses plans A et B, s’enfoncèrent dans un épais silence. Il ne fallait pas, disaient les sondeurs-conseilleurs de l’époque, faire peur aux retraités. Dans les grands médias, on procéda à l’élimination discrète mais méthodique de la plupart des économistes hétérodoxes, tant et si bien qu’on assista à l’étonnant spectacle qu’il nous est toujours donné de contempler : des journalistes spécialisés et des experts patentés dissertent sur la compétitivité, sur le déficit de notre commerce extérieur, sur les inégalités sociales, sans que jamais la question de la monnaie soit posée.
Or voici du nouveau, sous l’apparence d’un ouvrage parfaitement austère annoncé par un titre-choc : L’euro en danger (2). L’auteur n’est pas très connu mais la préface de Jacques de Larosière, ancien gouverneur de la Banque de France, indique que nous sommes invités à une réflexion du plus grand sérieux. De fait, Didier Cahen a une connaissance approfondie de l’histoire et des mécanismes de la zone euro, dont il a toujours été un partisan convaincu. Il a cru que la “monnaie unique” permettrait une forte croissance de la production et des échanges, ainsi qu’une réelle convergence des économies réunies dans une même zone monétaire, par harmonisation des politiques fiscales et budgétaires.
Or Didier Cahen reconnaît qu’il s’est trompé : les divergences entre les Etats se sont accentuées en matière d’endettement public, de productivité, de balance des paiements, de niveau de vie… La croissance de la zone euro entre 2021 et 2024 a été deux fois plus faible qu’aux Etats-Unis et l’Union européenne a raté le tournant technologique. Ces divergences et ces échecs risquent de conduire à un éclatement de la zone.
Les raisons de ce bilan globalement négatif ? On a créé une monnaie sans souveraineté, dont la gestion a été confiée à la Banque centrale européenne (BCE), organe fédéral, alors que la politique économique a été laissée à la décision des Etats nationaux. Pour que le système puisse fonctionner, il fallait que les Etats se soumettent à une stricte discipline budgétaire et réussissent les fameuses “réformes structurelles”. Les mesures disciplinaires ont bien été décidées, mais elles n’ont pas été respectées. Et si l’euro a survécu aux crises qui auraient pu l’emporter en 2007-2008, 2010-2012 et 2020, c’est en raison de la politique de création monétaire menée par la BCE – mais elle a favorisé l’endettement des Etats.
L’ouvrage de Didier Cahen sera analysé en détail par des spécialistes de la monnaie. Je le résume ici à gros traits pour le présenter comme symptôme des impasses dans lesquelles le milieu dirigeant s’est enfermé.
Avertis par Jacques de Larosière et Didier Cahen des menaces qui pèsent sur l’euro, les médias radiotélévisés auraient dû organiser des émissions aussi spectaculaires que celles qui ont accompagné le passage à la “monnaie unique”. Incrédulité ? Incompréhension de ce qui est expliqué ? Volonté – inédite – de ne pas jeter de l’huile sur le feu ? Nous ne saurons jamais les raisons de cette cécité.
La démarche de l’auteur et de son préfacier est quant à elle tout à fait claire. Ceux qui se sont lourdement trompés et qui ont engagé notre pays dans une aventure désastreuse ont le mérite de reconnaître leurs erreurs d’analyse et le tort de préconiser le renforcement des techniques qui ont échoué. Toujours plus de discipline budgétaire ! Toujours plus de financiarisation ! On se souvient tout à coup que Didier Cahen est le délégué général d’Eurofi, une association vouée à la promotion du marché unique des services bancaires et financiers…
Reconnaître les causes politiques de l’échec, puis les oublier. Préconiser des mesures techniques inopérantes, sans avouer qu’elles impliquent une négation de plus en plus forte des choix démocratiques. Ne pas voir que la vague populiste en Europe est la conséquence directe du néolibéralisme. Mais retirer le maximum de profits du capitalisme rentier jusqu’au bout – jusqu’au moment où tout s’effondre, par excès de spéculation ou de colère.
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1/ Jacques Sapir, L’euro contre la France, l’euro contre l’Europe, Le Cerf, septembre 2016.
2/ Didier Cahen, L’euro en danger, Editions Odile Jacob, septembre 2025.
Editorial du numéro 1310 de « Royaliste » – 3 novembre 2025
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